Actualité énergie

18 janvier 2024

Marché de gros de l’électricité : décryptage de son fonctionnement

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Aujourd’hui, l’électricité ne fait plus l’objet d’un monopole d’État. Elle est aussi un produit financier, qui fait l’objet d’échanges et de trading. Elle a plusieurs bourses, comme Nord Pool et Epex pour le marché français. Elle possède des cotations journalières et même horaires, dont on peut suivre le cours – par exemple via notre note de marché. Elle peut être achetée et revendue plusieurs années à l’avance. Son cours peut être haussier ou baissier. Il sera corrigé en fonction de l’offre et de la demande, avec le principe du merit order, mais aussi selon la situation économique, la météo ou des éléments géopolitiques… En bref, au niveau européen, le prix de l’électricité fluctue comme n’importe quel autre produit vendu sur un autre marché.

C’est le résultat d’un processus de libéralisation au niveau européen, qui a commencé au tournant des années 2000 et a abouti à la création de marchés de l’électricité. Sur un modèle semblable à celui de l’agroalimentaire, un marché de gros et un marché de détail de l’électricité ont pris formeen laissant aux professionnels, consommateurs de cette électricité en bout de ligne, de nombreuses questions en suspens.

Car l’électricité n’est pourtant pas un bien comme un autre. Elle est essentielle à bon nombre d’usages du quotidien, pour les entreprises et les particuliers. Il est difficile de s’en passer et l’évolution de son prix a des répercussions immédiates sur votre activité. Mais, dans le même temps, l’électricité ne se stocke pas comme d’autres marchandises classiques. Il vous est donc difficile de comprendre les mécanismes à l’œuvre sur ces marchés qui vendent l’électricité aussi bien pour la prochaine heure que pour 2027.

Pour vous, Collectif Énergie a donc dégrossi ce marché de gros. Comment fonctionne ce marché si particulier ? Qu’apporte-t-il au secteur de l’électricité ? Quels sont les prix qui s’y négocient ?

C’est quoi un marché de gros ?

Le marché de gros désigne l’endroit où l’électricité se vend et s’achète entre les différents acteurs de ce secteur. Le marché de gros n’est pas fait pour les consommateurs. Il se place en amont. En fait, il est dédié aux professionnels de l’électricité. 

C’est sur le marché de gros que les producteurs vendent des rubans de production à plus ou moins long terme. Les prix vont être définis en fonction de l’offre et de la demande et du besoin de sécuriser un approvisionnement côté acheteurs. Ces derniers sont principalement des fournisseurs et des traders, qui ensuite revendront cette production prévue à des consommateurs le moment venu.

Ainsi, c’est grâce au marché de gros qu’un fournisseur va pouvoir se procurer un « droit de pompage » sur une production d’électricité à un moment donné. Il s’assure alors du prix qu’il pourra ensuite proposer à ses clients pour leur approvisionnement électrique. Un autre marché prendra le relai, celui de détail, pour les consommateurs finals.

Et l’effacement dans tout ça ?

Le marché de gros intègre également des opérateurs d’effacement, qui vont vendre la capacité de leur client à… stopper leur consommation sur une période donnée, afin d’assurer la stabilité et pérennité du réseau. C’est un marché parallèle mais essentiel pour le secteur, car il faut toujours autant d’électricité produite que consommée pour éviter un différentiel trop important et des risques de coupure. Pour 2024, l’appel d’offres effacements de la DGEC a ainsi retenu un volume total de 2922 MW, un volume en hausse de 8 % par rapport à 2023.

Pour les professionnels avec une forte agilité sur leur consommation et qui peuvent différer leur production loin des heures de pointe, c’est un marché porteur sur lequel ils peuvent être accompagnés par Collectif Énergie.

Dès lors, le marché de gros peut se situer à différentes temporalités et sur différents modes : 

  • le jour même, il s’agira du marché spot, qui évolue même heure par heure ; 
  • dans quelques mois, sur un trimestre, l’année prochaine, en 2026 ou plus, c’est le marché à terme ; 
  • sur ce dernier, il peut s’agir de baseload (pour un ruban d’électricité régulier) ou de peakload (avec des pics de consommation, entre 8 h et 20 h sur les jours ouvrés) ;  
  • à un prix réglementé sur un certain volume et sur certaines heures, pour une énergie spécifique, comme c’est le cas avec l’Arenh en France jusqu’au 31 décembre 2025 ; 
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Pour la France, sur les marchés journaliers (ou spot), les acheteurs peuvent négocier sur deux bourses : Nord Pool et Epex. Chaque jour, heure par heure, des prix sont fixés sur ce marché et permettent d’ajuster la production afin qu’elle soit corrélée à la demande. C’est pour cela que le prix de l’électricité est particulièrement volatil. La variation des prix sur différents pays est disponible sur le site de RTE. Elle préfigure également des importations et exportations entre les pays européens. 

Par ailleurs, en dehors de ces bourses de l’électricité, les acteurs peuvent agir sur un marché de gré à gré, dit OTC. Il s’agit alors de transactions qui ne sont pas transparentes, avec des prix confidentiels, mais qui utilisent généralement les prix pratiqués sur le marché de gros comme référence.

Pourquoi avoir créé un tel marché ?

Après la Libération, comme pour de nombreux secteurs stratégiques, une loi de nationalisation a été mise en place pour l’électricité. Cela a abouti à la création d’EDF et de plusieurs entreprises locales de distribution (ELD), lorsque des maillons régionaux souhaitaient conserver la main. Dès lors, en France, le marché était un monopole de la force publique. Plus exactement, il n’y avait pas véritablement de marché. C’est EDF qui déterminait à quelles centrales faire appel et à quel prix, selon sa stratégie et les coûts auxquels l’entreprise pouvait faire face. Pour les partisans de cette solution, cela permettait notamment d’avoir une corrélation entre le coût de production et le prix de vente, puisque production, distribution et fourniture étaient confondues sous un même drapeau. 

Pourtant, à la fin du XXe siècle, l’Europe a préparé le terrain pour une libéralisation du secteur. Le marché de gros avait plusieurs objectifs lors de sa création. Son développement devait ainsi coïncider avec : 

  • des investissements plus importants dans les énergies ; 
  • une ouverture à la concurrence pour faire baisser les prix ; 
  • un terrain plus propice aux interconnexions entre les pays européens ; 
  • une sécurisation de l’approvisionnement en électricité pour tous les pays de la région, grâce à l’alliance de différents types de production et les interconnexions. 

Cependant, tous les effets escomptés n’ont pas été probants. Dès lors, c’est une analyse qui revient comme une antienne, inamovible, inévitable : le marché de gros est la mère de tous les problèmes qui ont déferlé sur le secteur de l’énergie. C’est lui qui serait le responsable de tous les dérèglements et de l’envolée spectaculaire des prix des derniers mois. En particulier, il serait le coupable à cause de son lien fort avec le prix du gaz, car on le dit « indexé » à son tarif. Cette analyse mérite d’être nuancée, car ce marché de gros au niveau européen a permis le développement des interconnexions et assurer l’approvisionnement de tous les pays de la zone, notamment sur des périodes de crise. 

Comment est fixé le prix de l’électricité sur ce marché de gros ?

Le système repose sur le principe du merit order. Ce marché opère au niveau européen, avec donc des réalités de production très différentes. C’est pour cela qu’un système basé sur les coûts marginaux des différentes centrales a été choisi. C’est la production avec le combustible au coût le plus bas qui est appelé en premier… et c’est celle qui est appelée en dernier pour répondre au besoin (plus important l’hiver que l’été, par exemple) qui fixe le prix. Pour l’électricité, il s’agit du charbon ou du gaz, selon les prix en vigueur pour ces deux ressources. 

Pourquoi ce système ? Il s’agit d’assurer d’un côté l’utilisation d’une énergie à un faible coût variable, voire une énergie qui serait perdue si elle n’était pas utilisée immédiatement dans le cas de l’éolien ou du solaire. Yannick Jacquemart, directeur nouvelles flexibilités de RTE, estime que « l’avantage de ce système est qu’il conduit à faire systématiquement appel à la centrale disponible la moins chère en Europe pour produire un kilowattheure supplémentaire ». De l’autre côté, ce système permet également d’inciter la centrale thermique à gaz ou à charbon en bout de ligne à se mettre en route. Ce sera le cas si le prix d’achat correspond aux frais réels de cette dernière centrale. C’est pour cela que le système du merit order a été privilégié. 

Que se passe-t-il sur ce marché depuis 2022 ?

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a entraîné une explosion du prix du gaz, qui parfois a été multiplié par dix. Par conséquent, en 2022, il n’entrait plus vraiment en concurrence avec le charbon et se plaçait bien au-dessus. Or, dans le même temps, l’offre proposée par d’autres énergies s’était affaiblie (comme le nucléaire en France, avec un parc vieillissant). C’est ce qui a entraîné des prix de l’énergie au-delà des 1000 € sur le marché de gros. 

Ce prix trop élevé, associé à une volatilité très forte et à un fonctionnement qui n’a pas attiré les investissements nécessaires à long terme – d’un ordre de grandeur énorme lorsqu’on parle de décarbonation (50 milliards pour la construction de 5 à 6 EPR, par exemple) – ont suffi pour tirer ce constat : le marché de gros ne fonctionne pas en l’état. Les prix à court terme n’assurent pas de rentrées d’argent suffisantes pour que producteurs et consommateurs s’y retrouvent.

Aujourd’hui, c’est donc un marché qui fonctionne avec des rustines afin d’assurer l’équilibre sur le réseau et des prix qui conviennent à tous. Il nécessite des subventions pour le renouvelable, la mise en place d’un marché de capacité et un autre de l’effacement, la fixation de jours de pointe (PP1-PP2…) par la CRE, etc. 

Afin d’éviter une nouvelle flambée des prix, l’Europe a opté également pour une réforme du fonctionnement du marché. L’UE souhaite y privilégier les produits à long terme, grâce aux CFD (contrats sur la différence, avec prix plancher et prix plafond) et aux PPA (Power purchase agreement, qui lient producteur et acheteur sur plusieurs années). Cela doit rassurer les producteurs et limiter l’incertitude pour les acheteurs, afin que le marché de détail – et donc les consommateurs finals – n’en subisse pas les conséquences. 

homme sur un toit avec des panneaux photovoltaiques

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Quelle influence a-t-il sur le marché de détail ?

C’est (notamment) le prix négocié en bourse, sur les marchés de gros, qui vont permettre de déterminer et de fixer les tarifs finaux pour les consommateurs, en incluant des primes de risque sur l’approvisionnement ou la volatilité des prix… Tout en essayant d’être le plus attractif possible, le prix proposé reflète nécessairement le coût réel des opérations effectuées sur les marchés à court et moyen termes.

Mais ça, c’est une autre histoire, qui fera l’objet d’un second article avec les repères essentiels pour se faufiler dans les méandres du marché de détail.