Qui est là sous le masque de la souveraineté énergétique ? Le nucléaire ? L’éolien ? Le solaire ? Depuis le discours de Belfort d’Emmanuel Macron, on attend que la souveraineté énergétique se montre. C’est devenu l’arlésienne de la politique française de l’énergie et de sa programmation pluriannuelle. Pourquoi est-ce devenu un enjeu crucial ? Comment la construire ? Quelles énergies favoriser ?
Derrière ce concept se cachent (au moins) trois objectifs concrets et importants :
- répondre à la crise de l’énergie et empêcher une envolée des prix comme à l’été 2022 ;
- intégrer les objectifs de réduction des émissions carbone et de lutte contre le réchauffement climatique dans la transition énergétique ;
- garantir enfin l’approvisionnement électrique sur le long terme et éloigner tout risque de blackout… dans un contexte d’électrification des usages.
Si un projet de loi avait commencé à prendre forme à la fin de l’année 2023, avec un avis favorable rendu par la CRE début 2024, celui-ci est désormais mis en pause… le temps d’un débat, promis par Roland Lescure, le nouveau ministre de l’Énergie, en charge de la transition énergétique.
Mais pourquoi ce sujet fait-il autant débat ? Quelles pistes sont étudiées pour garantir cette souveraineté ? Et à quelle·s conséquence·s faut-il s’attendre pour les consommateurs ?
Être souverain en son énergie
« Les choix que nous prenons et assumons aujourd’hui engagent la nation, avec des conséquences très concrètes sur la vie industrielle, la vie de nos compatriotes, [ne] peuvent pas se prendre dans la précipitation [et] ne doivent pas non plus être le fruit de débats uniquement politiques, parfois politiciens. »
En prononçant son discours à Belfort en pleine crise de l’énergie, Emmanuel Macron devait rassurer et proposer un cap pour une politique énergétique qui permettrait de juguler la hausse spectaculaire et hors de contrôle des prix sur les marchés en cohérence avec les analyses scientifiques sur la transition énergétique… tout en assumant le fait de devoir faire des choix à la fois réfléchis et rapides, sans confondre vitesse et précipitation, pour du temps long.
Ainsi, ces choix – politiques –, ajoutait le président de la République, « il faut les mûrir, les réfléchir, les éclairer par la science et par la technique. » Entre temps, la crise de l’énergie est venue donner un sérieux coup de fouet à l’ambition de créer une souveraineté énergétique à l’échelle de l’Hexagone. Mais y a-t-il seulement des ressources exploitables en France pour cela ?
Il y a quelque chose d’énergétique dans l’État français ?
Eh bien, non, il n’y a pas grand-chose directement sur le territoire… à ce jour. Tout au plus peut-on compter sur quelques gisements, çà et là, comme en Gironde. Faut-il pour autant les exploiter ? Ou mieux vaut-il se tourner vers d’autres énergies, nouvelles et plus durables ? Peut-on espérer pouvoir produire bientôt de l’hydrogène en grande quantité en France ?
Cette dernière ressource pourrait assurer la souveraineté de la France avec une production décarbonée, d’avenir, donc particulièrement intéressante. Mais, à ce jour, le développement de l’hydrogène requiert encore des « financements massifs ». Il ne permet donc pas une souveraineté immédiate, même si les espoirs placés sont énormes également.
Avoir des objectifs ou ne pas avoir d’objectifs, telle est la question
Reste les énergies renouvelables et l’exploitation du vent, du soleil ou de l’eau… Faut-il davantage déployer ces énergies renouvelables, au coût marginal très faible mais qui ont le défaut d’être le plus souvent intermittentes ? L’un des enjeux indirects du projet de loi sur la souveraineté énergétique est d’ailleurs la question des concessions accordées pour les barrages hydroélectriques, un sujet épineux au niveau européen.
Reste aussi le nucléaire, qui nécessite toutefois l’importation d’uranium et conserve donc une part de dépendance, même si les stocks stratégiques sont importants en France.
Il semblait logique que la souveraineté énergétique pose finalement la question des choix à opérer quant au mix énergétique à privilégier pour l’avenir. Pourtant, début 2024, le volet programmatique de ce projet de loi a finalement été supprimé. Le gouvernement a fait le choix de la prudence, en évitant de froisser les partisans du nucléaire ou des renouvelables. Peu après, Roland Lescure a symboliquement refusé de choisir une chapelle dès sa prise de fonction.
L’équilibre reste cependant d’autant plus fragile à trouver que le gouvernement a acté une relance forte de la filière nucléaire, avec la construction de 6 + 8 EPR à l’horizon 2050, en s’appuyant sur EDF, un acteur détenu à 100 % par l’État, plutôt que sur des acteurs privés comme Engie.
Et après l’Arenh ?
L’Accès régulé à l’énergie nucléaire historique (Arenh) doit prendre fin le 31 décembre 2025. Dans un contexte de relance de la filière, avec des besoins importants de financements et d’investissements pour la construction de nouveaux réacteurs, EDF et l’État ont négocié pour trouver un nouveau mécanisme permettant de protéger le consommateur tout en contribuant à la production nucléaire. Cela prend notamment la forme d’un prix moyen annoncé à 70 €/MWh et de plafonds de prix au-delà desquels une part de la rente sera reversée vers les consommateurs.
Et l’Europe dans tout ça ?
La souveraineté ne s’imagine pas qu’au niveau des frontières de l’Hexagone. Il s’agit aussi de trouver un équilibre au niveau de l’Union européenne – ou du continent – grâce à des interconnexions toujours plus nombreuses et un marché mieux régulé à cette échelle.
Pour cela, l’axe privilégié dans le cadre d’une réforme du marché européen de l’énergie est celui des contrats longs, grâce à des CFD (contrats sur la différence) et des PPA (contrat d’achat direct d’énergie) ? C’est un premier moyen de permettre le développement de nouvelles sources d’énergie, de préférence renouvelables. Les PPA notamment offrent un soutien précieux aux producteurs d’énergie et alimentent ainsi la construction d’une souveraineté locale et durable.
La question supplémentaire est celle de la fabrication des éléments nécessaires à la transition énergétique sur le continent européen. Comment être souverain si les modules solaires sont tous fabriqués en Asie ? Sur ce point, même si la Commission européenne souhaite que 40 % des panneaux solaires européens soient produits en Europe, la défense face aux importations chinoises patine encore…
Pour les clients, qu’apporte la souveraineté dans l’énergie ?
Pour les consommateurs, la construction d’une souveraineté énergétique semble vitale pour éviter les rebonds de prix connus ces dernières années. Le contexte de crise énergétique a popularisé l’expression dans les discours politiques. Il est devenu indispensable de se positionner sur un projet de souveraineté énergétique.
Logiquement, l’objectif est principalement d’anticiper les coûts de la production et de permettre de réduire la dépendance aux importations et aux conflits géopolitiques pour diminuer la volatilité sur les marchés à moyen et long terme. Pour cela, il faut développer l’offre, mais aussi maîtriser la demande afin qu’elle soit plus maîtrisée, par exemple grâce aux mécanismes d’effacement.
L’ensemble des mesures du projet de loi sur la souveraineté énergétique doit également assurer la protection des consommateurs, par exemple en fournissant de meilleures informations sur les contrats proposés et les sources d’énergie vendues ou par la création d’obligations prudentielles pour les fournisseurs.
Enfin, pour les entreprises, la démocratisation souhaitée de nouvelles formes de contrats comme les PPA peut être une bonne nouvelle dans la gestion de son risque énergétique. Vous allez pouvoir mieux gérer votre budget en achetant votre énergie différemment, par exemple en vous appuyant sur une communauté énergétique.
Finalement, le souhait annoncé autour de la souveraineté énergétique est celui de marchés de l’énergie rectifiés, tant pour l’Europe que pour la France. Mais la mise en place de ces réformes s’annonce ardue, car elles nécessitent un consensus sur des choix stratégiques. 2024 sera-t-elle l’année de la souveraineté ?