Moins consommer d’électricité et être rémunéré pour le faire ? L’idée peut paraître saugrenue. Pourtant, tous les ans, le gestionnaire du réseau RTE fait appel à des entreprises pour assurer l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité en leur demandant… de s’effacer. L’enjeu est simple : éviter des tensions sur le réseau.
Cette offre permet de réduire efficacement son budget énergétique en participant à un besoin collectif et en atténuant la dépendance à des énergies fossiles coûteuses comme le charbon. Et elle n’est pas réservée aux grandes industries !
Partenaire de Collectif Énergie, Enerdigit est un opérateur d’effacement qui accompagne de nombreux secteurs industriels. Son ingénieur commercial Bastien Salibur* vous présente donc cette solution flexible qui peut être intégrée par des entreprises de tous les secteurs grâce à un accompagnement sur mesure.
Pouvez-vous présenter le principe et l’intérêt de l’effacement pour le réseau électrique ?
L’effacement est un mécanisme assurantiel. Il permet aux industriels de contribuer à l’équilibre du réseau par une baisse de leur consommation. En effet, RTE, gestionnaire du réseau électrique, a besoin d’anticiper et d’éviter les déséquilibres entre la demande et la production d’électricité. L’effacement implique donc une collaboration étroite avec RTE.
Par ailleurs, l’effacement est un moyen d’éviter l’activation de certaines usines de production d’électricité alternatives – c’est-à-dire les centrales à charbon, à fioul ou à gaz, qui sont à la fois coûteuses et polluantes. C’est ainsi que l’effacement prend tout son sens.
En 2023, le bilan électrique français affiche une exportation nette de 50,1 TWh. Dans un tel contexte, le réseau français a-t-il eu besoin d’effacement ?
En 2023, nous n’avons effectivement pas ou très peu eu besoin d’effacement, car il n’y avait pas de nécessité de rééquilibrage du réseau. En cas d’hiver très froid ou de réacteurs nucléaires à l’arrêt, c’est bien évidemment très différent. Il peut y avoir des zones de tension sur des pics de consommation. L’effacement permet alors d’agir de façon simple et écologique, grâce à la flexibilité des entreprises. En contrepartie, ces entreprises sont rémunérées et obtiennent des outils précieux pour piloter leur consommation d’électricité.
Comment fonctionne la rémunération de l’effacement ? Dans un contexte où il est peu nécessaire, reste-t-il intéressant financièrement ?
Les entreprises que nous accompagnons bénéficient de deux sources de rémunération. L’une est fixe, l’autre est variable. La première représente la part la plus importante. Elle dépend uniquement de la capacité de l’entreprise à s’effacer, avec un système proche de celui de l’astreinte. Nous pouvons appeler les entreprises sur une période bien précise, entre le 15 octobre et le 15 avril. Cette période de fin et de début d’année est réputée comme pouvant être tendue pour le réseau, notamment en cas de températures basses. En cas de tension, RTE fait appel à nous, puis nous transmettons la demande à nos clients. Ainsi, pour un industriel, le simple fait de rendre ses sites disponibles pendant l’hiver suffit à obtenir une rémunération assurée à l’année.
Comment fonctionne la partie variable ? Si une entreprise n’est finalement pas en mesure de baisser sa consommation lorsqu’elle est sollicitée, car son activité ne le permet pas, risque-t-elle des pénalités ?
Le risque financier avec notre offre d’effacement est quasi nul. En effet, la rémunération fixe est la plus importante. Cela assure un premier matelas de sécurité. De plus, un non-effacement viendra simplement réduire cette rémunération fixe. Notre contrat précise qu’il est impossible d’être dans le négatif. Si l’industriel ne s’efface pas à plusieurs reprises, de façon consécutive, et que la rémunération tombe à zéro, le contrat sera simplement annulé. Néanmoins, le bilan est positif car nous bénéficions d’un taux de fiabilité de 100 % auprès de RTE, en grande partie grâce aux effacements réussis de nos clients.
Vous accompagnez à l’effacement depuis 2015. Quel bilan dressez-vous des périodes de tension ?
Dans les faits, l’effacement étant assez rare, les industriels répondent présents lorsque nous avons besoin d’eux. Pour donner un exemple concret, en 2018, l’année où nous avons le plus sollicité nos clients, le temps total de demande d’effacement était de 17 heures. Cela était dû à la maintenance de plusieurs réacteurs nucléaires… alors qu’une vague de froid s’abattait sur la France. Cette modeste demande en effacement rassure avec le temps nos clients. Les industriels sollicités se rendent compte que la demande est maîtrisable et intéressante financièrement.
Nous faisons aussi en sorte que cette requête soit lisible et simple. Nous leur fournissons des outils et des informations en temps réel grâce à notre application web et mobile. Ils peuvent ainsi s’assurer que les contraintes propres à leur site pour un effacement soient bien respectées et surveiller directement ce qui se déroule dans leur entreprise. C’est un vrai bonus pour nos clients. Certains d’entre eux font de l’optimisation supplémentaire grâce à notre application.
Si l’effacement est une offre assez modulable, cela s’adresse-t-il pour autant à tout le monde ?
Oui, l’effacement s’adresse à tous, car il s’agit d’un mode d’action sur mesure. Aujourd’hui, l’effacement se développe aussi petit à petit dans le tertiaire. La seule contrainte véritable est d’avoir au minimum 150 kW de puissance souscrite. Ensuite, l’effacement peut concerner une structure entière comme se concentrer sur une seule machine parmi 50. Il n’y a pas de règle. C’est l’industriel qui construit son effacement en fonction de son activité, avec notre aide. Il faut que ce soit confortable pour lui et pour son activité.
Comment parvenez-vous à déterminer ces moyens d’agir et d’arrêter une partie de la consommation électrique de l’entreprise ?
Le plus souvent, nous récupérons les données de consommation des industriels. Cela nous permet de repérer des moments atypiques sur ses courbes de charge. Nous essayons alors de comprendre quels process se sont arrêtés ou lesquels ont continué. Un industriel pourrait initialement croire que l’arrêt de ses machines est impossible sans réaliser des démarches complexes. Cependant, il réalise qu’en reportant certaines tâches, des moyens d’action peuvent toujours être trouvés.
Chaque année, nous découvrons des process flexibles dans de nouveaux secteurs. Notre force est d’aller assez loin dans les études, dans la recherche et dans les solutions sur mesure. Lorsque nous étudions des sites dans des secteurs sur lesquels nous n’avons pas encore travaillé, nous nous rendons compte qu’il y a au moins une, deux voire trois machines flexibles sur le site.
Cela se retranscrit particulièrement dans certains secteurs comme l’agroalimentaire. Dans ce cas précis, nous pouvons travailler sur les chambres froides et leur inertie. Si nous arrêtons des groupes froids avec des chambres récentes, le froid va demeurer pendant plusieurs heures. Cela signifie donc que ces groupes froids pourraient être arrêtés pour une période d’effacement et de façon automatique, grâce à des outils que nous installons. Cela s’accompagne bien entendu de tests pour respecter les consignes de sécurité alimentaire, avec une marge de manœuvre. Et les industriels gardent la main sur leur effacement.
L’effacement agit en faveur des énergies renouvelables, souvent intermittentes, en incitant à la flexibilité de sa consommation d’électricité et en évitant le recours à quelques énergies fossiles polluantes. Cela signifie-t-il qu’il peut être intégré à une politique RSE ?
Aujourd’hui, l’effacement est un outil précieux pour soutenir la transition énergétique et assurer le bon équilibre du réseau. L’équipe marketing d’Enerdigit fournit d’ailleurs des indicateurs de performance aux entreprises. Elle indique, par exemple, le nombre de foyers pour lesquels l’approvisionnement électrique a été assuré grâce à l’effacement consenti par l’entreprise. L’objectif est que chacun puisse avoir des indicateurs parlants et compris par l’ensemble des collaborateurs qui participent à cet effacement de manière directe ou indirecte.
* Bastien Salibur est ingénieur commercial pour Enerdigit et accompagne les entreprises dans leur démarche d’effacement.