L’électricité est un marché qui fonctionne comme les autres : sur le principe de l’offre et de la demande.
Mais l’électricité est un marché qui ne fonctionne pas comme les autres : le prix fixé est celui de la centrale la plus chère. Autrement dit, le coût de l’électricité n’est pas une moyenne des coûts moyens de production réels. C’est le plus cher qui remporte le pactole – au plus grand bonheur des moins chers. Cela explique la forte volatilité de son prix, puisqu’il s’adapte en permanence aux besoins de production pour répondre à la consommation. Cela explique aussi quelques incompréhensions, comme l’idée récurrente d’un coût de l’électricité indexé sur les prix du gaz. Car, non, ce n’est pas exactement le cas – on y reviendra.
Mais comment explique-t-on ce drôle de système ? Qu’est-ce que le merit order du marché électrique européen ? En quoi le prix du gaz a-t-il une importance dans ce système et permet-t-il de fixer les prix ?
Voici un petit tour d’horizon de cette particularité qui semble de prime abord très étrange : le merit order des marchés de gros de l’électricité.
Les fondamentaux du merit order dans le marché électrique européen
Définition et principes de base du merit order
Le merit order, alias « ordre de mérite » en français, est un système basé sur la préséance économique. En fait, il s’agit d’une manière de classer les sources d’énergie disponibles selon leur coût variable, dans un ordre croissant. Ainsi, les centrales les moins coûteuses peuvent être appelées en premier et faire baisser les prix pour les marchés de gros de l’électricité.
Plus exactement : c’est le coût marginal de production de l’électricité qui permet de construire le merit order. La logique est la suivante : lorsqu’une centrale photovoltaïque et une centrale à charbon sont installées, le coût de la première sera sensiblement le même qu’elle soit en fonctionnement ou à l’arrêt.
Son coût marginal, celui du combustible qui permet de produire de l’électricité, est nul. Le soleil diffuse son énergie gratuitement. À l’inverse, la centrale à charbon nécessite… du charbon ! Ce charbon doit être acheté, acheminé, stocké, utilisé. Il y a une matière première indispensable pour créer de l’énergie, ce qui s’ajoute au coût final de la production.
Le merit order, c’est donc une enchère entre centrales pour atteindre un volume de production. Les plus offrants entrent en premier, les plus chers en dernier. Lorsque la limite souhaitée est atteinte (le niveau de consommation), le prix s’arrête… et sera le même pour tous. Même si la centrale nucléaire proposait son électricité à 65 €/MWh, le prix de l’électron sera de 180 €/MWh si c’est le prix final proposé par une centrale charbon et retenu pour la consommation française à cet instant.
Le classement des sources d’énergie par coût marginal
En toute logique, le merit order fait donc la part belle aux énergies renouvelables. Les centrales photovoltaïques et solaires, lorsqu’elles sont en capacité de production, sont les premières à être appelées pour couvrir la consommation.
Arrivent ensuite les barrages hydrauliques, qui nécessitent davantage d’entretien et donc de coûts marginaux, mais restent compétitifs – et vertueux pour l’environnement, ce qui n’est pas négligeable.
Puis vient le nucléaire, dont le combustible est capable de produire un grand volume de production électrique avec une puissance stable et de façon décarbonée. En France, elle est encore très majoritaire et essentielle au réseau.
Le merit order relègue aux derniers échelons les énergies fossiles, fortement émettrices de CO2.
D’ailleurs, l’introduction d’un marché carbone au niveau européen a opéré une bascule dans le classement du merit order. Le charbon, plus émetteur que le gaz, a vu son coût marginal augmenter. Cela a conduit à faire moins souvent appel à ces centrales et à acter de plusieurs fermetures, comme en France avec les arrêts programmés de Saint-Avold et Cordemais qui ne fonctionnent plus que quelques heures par an. Cela conduit le merit order a être régulièrement fixé par le coût des centrales à gaz, nécessaires pour couvrir la consommation.
Enfin vient le fioul, utilisé uniquement à la marge en France ces dernières années.
Les acteurs du marché électrique européen
Le merit order est relativement récent sur le marché européen. Il s’agit en fait d’une nécessité liée à l’unification du marché de l’énergie à l’échelle du continent et à sa libéralisation.
En effet, les interconnexions entre les pays permettent de répartir plus efficacement les moyens de production et d’éviter d’avoir recours à des centrales chères lorsque cela n’est pas nécessaire. Cependant, pour que ces échanges puissent avoir lieu de manière fluide, il fallait trouver un moyen de communication et d’arbitrage simple et rapide.
De plus, avec la libéralisation du marché inhérente à cette ouverture entre les pays, il ne pouvait plus y avoir d’acteur unique à l’échelle d’un seul pays (ou du continent), comme EDF en France, qui puisse être à la fois producteur et arbitre des prix. Des enchères à la façon du merit order permettent d’établir naturellement cet ordre d’appel des centrales en fonction des besoins, à l’instant T. C’était donc un choix pragmatique.
En fait, de manière tout aussi pragmatique, cette combinaison devait faire face à un nouveau problème spécifique au marché de l’électrique : il faut produire en temps réel. Or, comment convaincre un énergéticien de mettre en route sa centrale électrique si le prix de l’électron proposé ne lui garantit pas de rentrer dans ses frais ? Pourquoi la centrale à charbon de Cordemais produirait de l’électricité début janvier si le prix n’intègre pas son coût de fonctionnement – qui plus est pour une centrale « de pointe de consommation », qui produit seulement en cas de nécessité ?
Ainsi, pour garantir la production, il faut en payer le prix du moment, pas le prix moyen – sauf à accepter des pertes provisoires et comblées par ailleurs, comme auparavant lorsqu’EDF avait le monopole et construisait lui-même son propre équivalent d’un merit order… ce que ne peut faire un producteur esseulé.
Bref, il fallait un nouveau shérif en ville, de préférence neutre et impartial. Désormais, la gâchette est tenue par la main invisible du marché, bien guidée par le merit order et ses prérogatives sur les émissions carbone.
Quel est le rôle du merit order dans la transition énergétique ?
- Le merit order promeut les énergies renouvelables, au coût marginal le plus faible.
- Il permet d’intégrer dans la construction des prix de l’électricité la question des émissions de CO2, par exemple avec le mécanisme des quotas carbone.
- Il finance des gestes écoresponsables comme la flexibilité électrique (qui incite à consommer au bon moment) grâce au mécanisme de capacité.
- Il joue concrètement sur le signal prix, lors des pics de consommation, obligeant à sortir des énergies fossiles pour des raisons économiques !
- Mais il renforce l’ampleur de la volatilité des prix, jusqu’à des prix négatifs, et peut rendre des investissements dans de nouvelles sources de production plus risqués sans aides gouvernementales – via des obligations d’achat ou des prix plancher.
L’application concrète du merit order
Construction du prix spot avec le merit order : la preuve par l’exemple
Prenons un jour au hasard : le lundi 17 février 2025. Ce jour-là, en fonction notamment de son modèle météorologique ainsi que d’autres données économiques, RTE va pouvoir estimer la consommation du lendemain. Avec un pas horaire et en coordination avec les autres acteurs, le gestionnaire du réseau peut aller faire un merit order prévisionnel.
Sur certaines heures, il sera nécessaire de faire appel au gaz. Sur d’autres, le nucléaire devra être modulé à la baisse pour laisser la place à l’éolien et au solaire. Ce travail conduit à plusieurs courbes : la prévision de consommation, celle de la production… et finalement la courbe des prix, le « spot » du jour pour le lendemain. On peut alors remarquer le lien entre ces courbes et l’influence de la consommation estimée et de la production nécessaire sur les prix.
Sur une semaine, on constate de la même manière les périodes de forte consommation, les périodes de production plus élevée et les corrélations ou non entre les deux d’un jour à l’autre. Avec des motifs assez récurrents que vous pouvez retrouver dans notre note de marché tous les mardis, les prix montent et descendent au cours d’une journée, traduisant matériellement le merit order.
Toutes ces données, vous pouvez les suivre au quotidien avec notre application Futures, qui donne accès aux variations du marché spot et du marché à terme.
Les variations du merit order dans les pays européens… et dans la zone Europe
Cependant, la consommation intérieure ne suffit pas toujours à comprendre la variation du merit order. Avec un marché unique au niveau de l’Europe et plus de 400 interconnexions entre les pays, le merit order peut s’adapter à plusieurs échelles à la fois. Ainsi, des centrales françaises vont être appelées… pour répondre à la demande italienne, allemande ou espagnole, et inversement.
Théoriquement, cela permet de faire baisser les prix pour tous, puisque le principe du foisonnement va réduire la pression sur les centrales fossiles au bénéfice des renouvelables et du nucléaire. Une production solaire forte en Espagne et qui bénéficie à la France, ce sera moins de centrales à gaz nécessaires dans l’Hexagone… voire des centrales à charbon stoppées en Allemagne, par le jeu des vases communicants.
Cela explique également le spread (différentiel des coûts de l’électricité) qui existe entre certains pays de la zone Europe, en fonction de leur mix énergétique et des centrales qui fonctionnent et sont nécessaires à l’instant T. À l’avenir, d’ailleurs, ce merit order pourrait être revu et davantage localisé, avec des zones régionales pour l’Allemagne ou l’Italie. La France devrait néanmoins garder son prix unique pour le moment.
Pour un pays très largement exportateur comme la France, qui produit bien plus qu’il ne consomme, cet effet sur les prix peut parfois être vu comme le verre à moitié vide : les prix de production augmentent, puisqu’on fait appel à des centrales à gaz sur des périodes où elles ne seraient pas nécessaires dans l’Hexagone – mais où elles évitent l’échelon supplémentaire du merit order dans un autres pays.
Cela cache néanmoins une bonne nouvelle pour l’économie : des rentrées d’argent importantes, avec pas moins de 5 milliards d’euros d’électricité exportée rien que pour l’année 2024 !
L’intégration des coûts de capacité et d’effacement dans le merit order
Par ailleurs, au bout du merit order, lorsque celui-ci ne suffit plus et que la consommation dépasse les capacités de production, il faut ajouter de nouvelles briques : celles du mécanisme de capacité.
Plus exactement, le merit order garde en réserve une dernière échelle de prix qui va permettre de rémunérer des centrales électriques qui ne fonctionnent qu’en dernier recours, car généralement polluantes, ou de financer la capacité de certains industriels à s’effacer et à réduire soudainement leur consommation électrique pour le bien du réseau.
Ainsi, le principe du merit order est aussi une mécanisme de fluidité et de sécurisation du réseau. Il participe au financement de tous les acteurs nécessaires au maintien de l’approvisionnement sur le réseau, en permanence, à flux tendu. Il permet de repousser au maximum les risques de délestage pour préserver la stabilité du réseau, avec ces prix d’extrême pointe.
L’avenir du merit order : vers des évolutions techniques pour en limiter les biais
Mieux contrôler les surcoûts pour les consommateurs
Que faire de la rente inframarginale ? Lorsque les renouvelables profitent de prix élevés, qu’est-il prévu pour que cela ne soit pas imputable seulement aux consommateurs qui paient alors le prix fort sur leur facture d’électricité ? Ces questions sont devenues urgentes au cœur de la crise de l’énergie, en 2022. En effet, avec des prix spot et des marchés à terme qui bondissent et son multipliés par 5 ou 10, certains producteurs étaient très largement gagnants.
Pour limiter cet effet d’aubaine, en France, l’État a choisi d’appliquer un « amortisseur électricité ». Dès lors, au-delà de 180 €/MWh, les producteurs au coût marginal faible voyaient une grande partie de leurs revenus captés. Cela permettait de redistribuer cet argent vers le consommateur et d’éviter une flambée des factures, tout en laissant le merit order fixer les prix selon son fonctionnement habituel.
Promouvoir des alternatives protectrices, du CFD au PPA
Les marchés de gros de l’électricité ne sont d’ailleurs pas une fatalité, même au niveau européen. Au contraire, il ne s’agit que d’une des modalités possibles pour acheter son énergie.
Les grands consommateurs choisissent déjà de passer des contrats sans intervention du marché, de gré à gré avec des producteurs. Cela passe par exemple par des contrats d’achat direct : le PPA ou Cader. Cette formule vous permet d’éviter d’avoir recours à des intermédiaires et donc de faire des économies. Elle a surtout pour rôle de stabiliser vos coûts énergétiques en donnant de la lisibilité sur une partie de votre fourniture pour de longues années. Généralement, un PPA est signé pour 15 à 20 ans.
D’autres formules existent comme les contrats sur la différence (CFD), qui établissent un couloir de prix garantissant l’investissement dans des énergies renouvelables et protection sur les coûts pour le consommateur final.
Vers une réforme du marché européen de l’électricité ?
Ce dernier point a été principalement mis en avant par la Commission européenne au cours de la dernière crise de l’énergie comme un moyen d’éviter certains excès dans la volatilité des prix de l’énergie.
Ainsi, les CFD bidirectionnels agissent d’un côté pour garantir un seuil minimum de rémunération pour les producteurs. Ils permettent donc de développer et d’investir dans des projets d’énergies renouvelables. Mais, en parallèle, ils protègent les consommateurs avec un plafond au-delà duquel l’argent est capté. Finalement, cela revient à mettre un bouchon sur le merit order pour qu’il ne déborde pas. Bien utilisé, il doit donc stabiliser le marché européen de l’électricité.
Ces réformes vont dès lors être mises en place progressivement par l’Union européenne, en cohérence avec les objectifs de décarbonation. Des arbitrages sont cependant toujours nécessaires pour y inclure certaines centrales, comme les réacteurs nucléaires historiques, et pour leur retranscription au niveau national. Par exemple, alors que la France s’était battue pour intégrer le nucléaire aux CFD, le mécanisme post-Arenh privilégié actuellement ne s’appuie pas sur un prix plancher, mais seulement sur un plafond de redistribution progressif.
Les entreprises et le signal prix du merit order : pourquoi ne pas mieux consommer et mieux acheter ?
Le merit order est en constante évolution. Grâce aux réglementations, comme l’intégration du coût carbone de chaque source d’énergie, le merit order a déjà changé pour être davantage moteur de la sortie du charbon en Europe. Ces ajustements devraient se poursuivre à l’avenir pour suivre les changements dans la production d’électricité et se traduire sur les marchés de gros comme sur les marchés de détail. En effet, le développement express du photovoltaïque provoque de nouvelles tendances, notamment un creux en milieu de journée l’été car la production (ou l’autoconsommation) prend le dessus sur la consommation. C’est la fameuse courbe en dos de canard.
À l’avenir, le merit order pourrait aussi être davantage lissé et moins volatil grâce à l’intégration plus systématique de batteries couplée à l’autoconsommation solaire ou éolienne. Cela changera nécessairement ces courbes de prix au spot, en déportant – intelligemment – les pics de consommation et en évitant le recours aux centrales les plus chères. Mais en attendant, la volatilité des prix au spot se relève plus importante d’année en année, en Europe.
Ainsi, comprendre le merit order et son futur, c’est comprendre que l’énergie coûte toujours selon la production de l’instant. Intégrer cette donnée doit vous permettre d’agir en faveur d’une réelle démarche RSE. Avec l’aide d’un energy manager, vous pouvez adapter votre profil énergétique pour favoriser les périodes de production d’énergie verte tout en payant moins cher votre électricité. Grâce à la logique du merit order, vous aurez définitivement le mérite… de mieux acheter, et de mieux consommer.

Article rédigé par Côme Tessier
Rédacteur web pour Collectif Énergie, je m’évertue à glisser des touches sportives ou des notes sucrées pour rendre plus accessibles les sujets liés à l’énergie. Sans jamais oublier de traquer les doubles espaces qui perturbent la lecture.
L’électricité est un marché qui fonctionne comme les autres : sur le principe de l’offre et de la demande.
Mais l’électricité est un marché qui ne fonctionne pas comme les autres : le prix fixé est celui de la centrale la plus chère. Autrement dit, le coût de l’électricité n’est pas une moyenne des coûts moyens de production réels. C’est le plus cher qui remporte le pactole – au plus grand bonheur des moins chers. Cela explique la forte volatilité de son prix, puisqu’il s’adapte en permanence aux besoins de production pour répondre à la consommation. Cela explique aussi quelques incompréhensions, comme l’idée récurrente d’un coût de l’électricité indexé sur les prix du gaz. Car, non, ce n’est pas exactement le cas – on y reviendra.
Mais comment explique-t-on ce drôle de système ? Qu’est-ce que le merit order du marché électrique européen ? En quoi le prix du gaz a-t-il une importance dans ce système et permet-t-il de fixer les prix ?
Voici un petit tour d’horizon de cette particularité qui semble de prime abord très étrange : le merit order des marchés de gros de l’électricité.
Les fondamentaux du merit order dans le marché électrique européen
Définition et principes de base du merit order
Le merit order, alias « ordre de mérite » en français, est un système basé sur la préséance économique. En fait, il s’agit d’une manière de classer les sources d’énergie disponibles selon leur coût variable, dans un ordre croissant. Ainsi, les centrales les moins coûteuses peuvent être appelées en premier et faire baisser les prix pour les marchés de gros de l’électricité.
Plus exactement : c’est le coût marginal de production de l’électricité qui permet de construire le merit order. La logique est la suivante : lorsqu’une centrale photovoltaïque et une centrale à charbon sont installées, le coût de la première sera sensiblement le même qu’elle soit en fonctionnement ou à l’arrêt.
Son coût marginal, celui du combustible qui permet de produire de l’électricité, est nul. Le soleil diffuse son énergie gratuitement. À l’inverse, la centrale à charbon nécessite… du charbon ! Ce charbon doit être acheté, acheminé, stocké, utilisé. Il y a une matière première indispensable pour créer de l’énergie, ce qui s’ajoute au coût final de la production.
Le merit order, c’est donc une enchère entre centrales pour atteindre un volume de production. Les plus offrants entrent en premier, les plus chers en dernier. Lorsque la limite souhaitée est atteinte (le niveau de consommation), le prix s’arrête… et sera le même pour tous. Même si la centrale nucléaire proposait son électricité à 65 €/MWh, le prix de l’électron sera de 180 €/MWh si c’est le prix final proposé par une centrale charbon et retenu pour la consommation française à cet instant.
Le classement des sources d’énergie par coût marginal
En toute logique, le merit order fait donc la part belle aux énergies renouvelables. Les centrales photovoltaïques et solaires, lorsqu’elles sont en capacité de production, sont les premières à être appelées pour couvrir la consommation.
Arrivent ensuite les barrages hydrauliques, qui nécessitent davantage d’entretien et donc de coûts marginaux, mais restent compétitifs – et vertueux pour l’environnement, ce qui n’est pas négligeable.
Puis vient le nucléaire, dont le combustible est capable de produire un grand volume de production électrique avec une puissance stable et de façon décarbonée. En France, elle est encore très majoritaire et essentielle au réseau.
Le merit order relègue aux derniers échelons les énergies fossiles, fortement émettrices de CO2.
D’ailleurs, l’introduction d’un marché carbone au niveau européen a opéré une bascule dans le classement du merit order. Le charbon, plus émetteur que le gaz, a vu son coût marginal augmenter. Cela a conduit à faire moins souvent appel à ces centrales et à acter de plusieurs fermetures, comme en France avec les arrêts programmés de Saint-Avold et Cordemais qui ne fonctionnent plus que quelques heures par an. Cela conduit le merit order a être régulièrement fixé par le coût des centrales à gaz, nécessaires pour couvrir la consommation.
Enfin vient le fioul, utilisé uniquement à la marge en France ces dernières années.
Les acteurs du marché électrique européen
Le merit order est relativement récent sur le marché européen. Il s’agit en fait d’une nécessité liée à l’unification du marché de l’énergie à l’échelle du continent et à sa libéralisation.
En effet, les interconnexions entre les pays permettent de répartir plus efficacement les moyens de production et d’éviter d’avoir recours à des centrales chères lorsque cela n’est pas nécessaire. Cependant, pour que ces échanges puissent avoir lieu de manière fluide, il fallait trouver un moyen de communication et d’arbitrage simple et rapide.
De plus, avec la libéralisation du marché inhérente à cette ouverture entre les pays, il ne pouvait plus y avoir d’acteur unique à l’échelle d’un seul pays (ou du continent), comme EDF en France, qui puisse être à la fois producteur et arbitre des prix. Des enchères à la façon du merit order permettent d’établir naturellement cet ordre d’appel des centrales en fonction des besoins, à l’instant T. C’était donc un choix pragmatique.
En fait, de manière tout aussi pragmatique, cette combinaison devait faire face à un nouveau problème spécifique au marché de l’électrique : il faut produire en temps réel. Or, comment convaincre un énergéticien de mettre en route sa centrale électrique si le prix de l’électron proposé ne lui garantit pas de rentrer dans ses frais ? Pourquoi la centrale à charbon de Cordemais produirait de l’électricité début janvier si le prix n’intègre pas son coût de fonctionnement – qui plus est pour une centrale « de pointe de consommation », qui produit seulement en cas de nécessité ?
Ainsi, pour garantir la production, il faut en payer le prix du moment, pas le prix moyen – sauf à accepter des pertes provisoires et comblées par ailleurs, comme auparavant lorsqu’EDF avait le monopole et construisait lui-même son propre équivalent d’un merit order… ce que ne peut faire un producteur esseulé.
Bref, il fallait un nouveau shérif en ville, de préférence neutre et impartial. Désormais, la gâchette est tenue par la main invisible du marché, bien guidée par le merit order et ses prérogatives sur les émissions carbone.
Quel est le rôle du merit order dans la transition énergétique ?
- Le merit order promeut les énergies renouvelables, au coût marginal le plus faible.
- Il permet d’intégrer dans la construction des prix de l’électricité la question des émissions de CO2, par exemple avec le mécanisme des quotas carbone.
- Il finance des gestes écoresponsables comme la flexibilité électrique (qui incite à consommer au bon moment) grâce au mécanisme de capacité.
- Il joue concrètement sur le signal prix, lors des pics de consommation, obligeant à sortir des énergies fossiles pour des raisons économiques !
- Mais il renforce l’ampleur de la volatilité des prix, jusqu’à des prix négatifs, et peut rendre des investissements dans de nouvelles sources de production plus risqués sans aides gouvernementales – via des obligations d’achat ou des prix plancher.
L’application concrète du merit order
Construction du prix spot avec le merit order : la preuve par l’exemple
Prenons un jour au hasard : le lundi 17 février 2025. Ce jour-là, en fonction notamment de son modèle météorologique ainsi que d’autres données économiques, RTE va pouvoir estimer la consommation du lendemain. Avec un pas horaire et en coordination avec les autres acteurs, le gestionnaire du réseau peut aller faire un merit order prévisionnel.
Sur certaines heures, il sera nécessaire de faire appel au gaz. Sur d’autres, le nucléaire devra être modulé à la baisse pour laisser la place à l’éolien et au solaire. Ce travail conduit à plusieurs courbes : la prévision de consommation, celle de la production… et finalement la courbe des prix, le « spot » du jour pour le lendemain. On peut alors remarquer le lien entre ces courbes et l’influence de la consommation estimée et de la production nécessaire sur les prix.
Sur une semaine, on constate de la même manière les périodes de forte consommation, les périodes de production plus élevée et les corrélations ou non entre les deux d’un jour à l’autre. Avec des motifs assez récurrents que vous pouvez retrouver dans notre note de marché tous les mardis, les prix montent et descendent au cours d’une journée, traduisant matériellement le merit order.
Toutes ces données, vous pouvez les suivre au quotidien avec notre application Futures, qui donne accès aux variations du marché spot et du marché à terme.
Les variations du merit order dans les pays européens… et dans la zone Europe
Cependant, la consommation intérieure ne suffit pas toujours à comprendre la variation du merit order. Avec un marché unique au niveau de l’Europe et plus de 400 interconnexions entre les pays, le merit order peut s’adapter à plusieurs échelles à la fois. Ainsi, des centrales françaises vont être appelées… pour répondre à la demande italienne, allemande ou espagnole, et inversement.
Théoriquement, cela permet de faire baisser les prix pour tous, puisque le principe du foisonnement va réduire la pression sur les centrales fossiles au bénéfice des renouvelables et du nucléaire. Une production solaire forte en Espagne et qui bénéficie à la France, ce sera moins de centrales à gaz nécessaires dans l’Hexagone… voire des centrales à charbon stoppées en Allemagne, par le jeu des vases communicants.
Cela explique également le spread (différentiel des coûts de l’électricité) qui existe entre certains pays de la zone Europe, en fonction de leur mix énergétique et des centrales qui fonctionnent et sont nécessaires à l’instant T. À l’avenir, d’ailleurs, ce merit order pourrait être revu et davantage localisé, avec des zones régionales pour l’Allemagne ou l’Italie. La France devrait néanmoins garder son prix unique pour le moment.
Pour un pays très largement exportateur comme la France, qui produit bien plus qu’il ne consomme, cet effet sur les prix peut parfois être vu comme le verre à moitié vide : les prix de production augmentent, puisqu’on fait appel à des centrales à gaz sur des périodes où elles ne seraient pas nécessaires dans l’Hexagone – mais où elles évitent l’échelon supplémentaire du merit order dans un autres pays.
Cela cache néanmoins une bonne nouvelle pour l’économie : des rentrées d’argent importantes, avec pas moins de 5 milliards d’euros d’électricité exportée rien que pour l’année 2024 !
L’intégration des coûts de capacité et d’effacement dans le merit order
Par ailleurs, au bout du merit order, lorsque celui-ci ne suffit plus et que la consommation dépasse les capacités de production, il faut ajouter de nouvelles briques : celles du mécanisme de capacité.
Plus exactement, le merit order garde en réserve une dernière échelle de prix qui va permettre de rémunérer des centrales électriques qui ne fonctionnent qu’en dernier recours, car généralement polluantes, ou de financer la capacité de certains industriels à s’effacer et à réduire soudainement leur consommation électrique pour le bien du réseau.
Ainsi, le principe du merit order est aussi une mécanisme de fluidité et de sécurisation du réseau. Il participe au financement de tous les acteurs nécessaires au maintien de l’approvisionnement sur le réseau, en permanence, à flux tendu. Il permet de repousser au maximum les risques de délestage pour préserver la stabilité du réseau, avec ces prix d’extrême pointe.
L’avenir du merit order : vers des évolutions techniques pour en limiter les biais
Mieux contrôler les surcoûts pour les consommateurs
Que faire de la rente inframarginale ? Lorsque les renouvelables profitent de prix élevés, qu’est-il prévu pour que cela ne soit pas imputable seulement aux consommateurs qui paient alors le prix fort sur leur facture d’électricité ? Ces questions sont devenues urgentes au cœur de la crise de l’énergie, en 2022. En effet, avec des prix spot et des marchés à terme qui bondissent et son multipliés par 5 ou 10, certains producteurs étaient très largement gagnants.
Pour limiter cet effet d’aubaine, en France, l’État a choisi d’appliquer un « amortisseur électricité ». Dès lors, au-delà de 180 €/MWh, les producteurs au coût marginal faible voyaient une grande partie de leurs revenus captés. Cela permettait de redistribuer cet argent vers le consommateur et d’éviter une flambée des factures, tout en laissant le merit order fixer les prix selon son fonctionnement habituel.
Promouvoir des alternatives protectrices, du CFD au PPA
Les marchés de gros de l’électricité ne sont d’ailleurs pas une fatalité, même au niveau européen. Au contraire, il ne s’agit que d’une des modalités possibles pour acheter son énergie.
Les grands consommateurs choisissent déjà de passer des contrats sans intervention du marché, de gré à gré avec des producteurs. Cela passe par exemple par des contrats d’achat direct : le PPA ou Cader. Cette formule vous permet d’éviter d’avoir recours à des intermédiaires et donc de faire des économies. Elle a surtout pour rôle de stabiliser vos coûts énergétiques en donnant de la lisibilité sur une partie de votre fourniture pour de longues années. Généralement, un PPA est signé pour 15 à 20 ans.
D’autres formules existent comme les contrats sur la différence (CFD), qui établissent un couloir de prix garantissant l’investissement dans des énergies renouvelables et protection sur les coûts pour le consommateur final.
Vers une réforme du marché européen de l’électricité ?
Ce dernier point a été principalement mis en avant par la Commission européenne au cours de la dernière crise de l’énergie comme un moyen d’éviter certains excès dans la volatilité des prix de l’énergie.
Ainsi, les CFD bidirectionnels agissent d’un côté pour garantir un seuil minimum de rémunération pour les producteurs. Ils permettent donc de développer et d’investir dans des projets d’énergies renouvelables. Mais, en parallèle, ils protègent les consommateurs avec un plafond au-delà duquel l’argent est capté. Finalement, cela revient à mettre un bouchon sur le merit order pour qu’il ne déborde pas. Bien utilisé, il doit donc stabiliser le marché européen de l’électricité.
Ces réformes vont dès lors être mises en place progressivement par l’Union européenne, en cohérence avec les objectifs de décarbonation. Des arbitrages sont cependant toujours nécessaires pour y inclure certaines centrales, comme les réacteurs nucléaires historiques, et pour leur retranscription au niveau national. Par exemple, alors que la France s’était battue pour intégrer le nucléaire aux CFD, le mécanisme post-Arenh privilégié actuellement ne s’appuie pas sur un prix plancher, mais seulement sur un plafond de redistribution progressif.
Les entreprises et le signal prix du merit order : pourquoi ne pas mieux consommer et mieux acheter ?
Le merit order est en constante évolution. Grâce aux réglementations, comme l’intégration du coût carbone de chaque source d’énergie, le merit order a déjà changé pour être davantage moteur de la sortie du charbon en Europe. Ces ajustements devraient se poursuivre à l’avenir pour suivre les changements dans la production d’électricité et se traduire sur les marchés de gros comme sur les marchés de détail. En effet, le développement express du photovoltaïque provoque de nouvelles tendances, notamment un creux en milieu de journée l’été car la production (ou l’autoconsommation) prend le dessus sur la consommation. C’est la fameuse courbe en dos de canard.
À l’avenir, le merit order pourrait aussi être davantage lissé et moins volatil grâce à l’intégration plus systématique de batteries couplée à l’autoconsommation solaire ou éolienne. Cela changera nécessairement ces courbes de prix au spot, en déportant – intelligemment – les pics de consommation et en évitant le recours aux centrales les plus chères. Mais en attendant, la volatilité des prix au spot se relève plus importante d’année en année, en Europe.
Ainsi, comprendre le merit order et son futur, c’est comprendre que l’énergie coûte toujours selon la production de l’instant. Intégrer cette donnée doit vous permettre d’agir en faveur d’une réelle démarche RSE. Avec l’aide d’un energy manager, vous pouvez adapter votre profil énergétique pour favoriser les périodes de production d’énergie verte tout en payant moins cher votre électricité. Grâce à la logique du merit order, vous aurez définitivement le mérite… de mieux acheter, et de mieux consommer.

Article rédigé par Côme Tessier
Rédacteur web pour Collectif Énergie, je m’évertue à glisser des touches sportives ou des notes sucrées pour rendre plus accessibles les sujets liés à l’énergie. Sans jamais oublier de traquer les doubles espaces qui perturbent la lecture.