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29 octobre 2024

Présidentielle 2024 aux États-Unis : quel impact sur le secteur de l’énergie ?

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Électeur validant son bulletin de vote pour une élection présidentielle américaine

Une victoire de Donald Trump ou de Kamala Harris peut-elle bouleverser les marchés européens de l’énergie ?

L’énergie est un domaine particulier au sein de la mondialisation. Qu’il s’agisse d’électricité, de gaz, de pétrole ou même encore de charbon, toutes les questions liées à ces énergies sont intimement liées à des stratégies géopolitiques et dépendent des soubresauts politiques qui adviennent.

L’élection présidentielle aux États-Unis possède également une place à part. La prochaine est fixée au 5 novembre 2024. Elle s’annonce déterminante pour les marchés financiers en choisissant la personne qui sera à la tête de la première puissance économique mondiale. Les choix défendus par Kamala Harris, la candidate des Démocrates, ou ceux de Donald Trump, l’ancien président et représentant du Parti républicain, auront des conséquences jusqu’en Europe et des répercussions économiques majeures.

Le résultat influencera surtout le paysage énergétique mondial des quatre prochaines années. Le marché mondial du gaz et par glissement les marchés de gros de l’électricité avec lui sont donc sensibles aux promesses faites lors de la campagne. Ils réagiront au résultat qui sortira des urnes, à la hausse ou à la baisse.

Pour bien le comprendre, il est nécessaire de décrypter en profondeur les choix opérés depuis quatre ans par Joe Biden, les politiques envisagées par les deux candidats et leurs conséquences potentielles sur les marchés européens du gaz et de l’électricité.

Une élection d’arbitrage sur la transition énergétique

Donald Trump et le climatoscepticisme

C’est le dossier clivant entre les deux candidats : l’urgence de la question climatique et le besoin d’une transition énergétique. Depuis plusieurs années, Donald Trump s’affiche en partisan des climatosceptiques, n’hésitant pas à parler de « canular » pour qualifier le réchauffement de la planète. Il veut, une fois encore, sortir des contraintes affichées par les accords de Paris – et rendre cette sortie durable.

Dans la dernière ligne droite, c’est même le patron de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), Fatih Birol, qui s’est retrouvé dans le viseur de l’ancien président. En cas de victoire, Donald Trump pourrait envisager de faire pression pour qu’il soit remplacé à la tête de l’organisation. Le camp républicain juge notamment que l’organisation aurait opéré un virage trop favorable aux renouvelables.

Kamala Harris timide soutien de la transition écologique

Au contraire, Kamala Harris apparaît davantage favorable à une politique énergétique favorisant les énergies renouvelables. La politique de la candidate démocrate pourrait permettre aux États-Unis d’opérer une sortie progressive des énergies fossiles.

Cependant, dans un pays encore très dépendant du pétrole et du gaz pour son industrie, la candidate des Démocrates a été discrète sur ces sujets lors de sa campagne pour éviter toute polémique. Le choix de Tim Walz comme colistier laisse néanmoins entrevoir une porte écologique. L’ancien gouverneur du Minnesota y possède un bilan d’action positif sur la question de la transition écologique.

L’Inflation reduction act (IRA), héritage des années Biden… pas totalement renié par Trump

Avec Kamala Harris, actuellement vice-présidente de Joe Biden, la continuité pourrait logiquement être de mise. Le mandat en cours du président de 81 ans a été marqué par une avancée politique majeure : l’IRA, un plan de relance pour les énergies renouvelables qui était aussi protecteur face au dumping chinois sur les panneaux photovoltaïques et les véhicules électriques.

L’IRA chamboule la politique d’investissements dans l’énergie

Ainsi, les États-Unis ont fait le choix de l’Inflation reduction act pour protéger leurs acteurs industriels et leurs outils de transition énergétique. Pour cela, le Parti démocrate – en lien avec le Sénat, à majorité républicaine – a choisi de transformer la question climatique en une opportunité d’investissements et de création d’emplois nouveaux.

Il mise principalement sur l’idée d’une croissance verte. Celle-ci doit permettre de réduire les émissions de CO2 par une relance industrielle « décarbonée » et une demande mieux ciblée : subventions aux réacteurs nucléaires ou à l’achat de voitures électriques, crédits d’impôts pour les renouvelables et l’hydrogène vert, etc. L’IRA vise notamment à une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre au cours de cette décennie grâce à la décarbonation de nombreux secteurs économiques.

Trump face à l’élan des énergies décarbonées

Que ferait Donald Trump d’un tel arsenal législatif ? Comme l’analyse Politico, « Trump est resté vague sur les parties des programmes de Biden qu’il chercherait à étrangler ou à modifier – mais pas sur son hostilité à l’égard du programme climatique ».

Ainsi, c’est le volet de soutien aux renouvelables qui pourrait pâtir d’une victoire de Trump, ce que résume à son tour une note universitaire relative aux choix des deux candidats du Centre d’études et de recherches internationales de Montréal : « L’élection ne devrait pas changer l’élan pour les énergies décarbonées, mais en déterminera assurément le rythme. » Or, en vue d’une transition énergétique réussie, la question du rythme de déploiement est essentielle pour répondre à l’accroissement de la demande en électricité.

De plus, l’IRA contient également des mesures qui ont favorisé d’autres secteurs de l’énergie, comme les biocarburants ou la capture de carbone… dans laquelle investissent les acteurs pétroliers. Donald Trump ne devrait donc pas renier de tels éléments, qui correspondent au programme politique de son parti.

Le changement pourrait plutôt se situer dans la relégation au second plan de toutes les questions climatiques, en adoptant la stratégie bâtie dans le cadre du Project 2025. Proposé par un think thank proche des Républicains, cette série de mesures constitue la base programmatique de Donald Trump. Ainsi, au lieu de réduire les émissions, la vision trumpiste se reposerait sur une production d’énergie toujours plus grande, à laquelle les renouvelables viendraient contribuer en étant décorrélés de tout objectif climatique.

Fractures hydrauliques : drill, drill, le réveil n’a pas sonné

Les États-Unis forent fort

C’est l’une des lignes sans fracture – pas même hydraulique – entre les deux candidats. Que ce soit le camp républicain ou démocrate qui l’emporte, l’exploitation de pétrole ou de gaz grâce au système de la fracture hydraulique ne devrait pas s’arrêter de sitôt.

Donald Trump en a fait l’un de ses slogans de campagne favori, répétant ad nauseam « drill, baby, drill » (on fore, on fore, on fore…). L’ancien président envisage même une politique résolument favorable aux énergies fossiles, quitte à relancer le charbon ou à tuer dans l’œuf le déploiement de la voiture électrique en échange du financement de sa campagne. Son objectif principal est là : faire baisser les coûts de l’énergie pour les citoyens étatsunien grâce à une offre toujours plus abondante.

Les États-Unis forent encore

Quant à Kamala Harris, en débat début septembre, elle s’est positionnée fermement en faveur de la poursuite des exploitations d’hydrocarbures : « J’ai été très claire à ce sujet en 2020. Je n’interdirai pas la fracturation hydraulique. »

D’un point de vue des marchés de l’énergie, cette position assez proche des deux candidats indique que l’offre en pétrole et en gaz devrait rester abondante et maintenir les prix à la baisse ces prochaines années.

D’ailleurs, comme le note Jean-Marc Jancovici dans une chronique pour RTL, « c’est sous la présidence de Barack Obama que la production de pétrole américaine a connu sa plus forte augmentation. Et c’est sous Trump que la substitution du charbon par le gaz dans l’électricité américaine a été la plus rapide. »

Les États-Unis forent toujours plus

Plus généralement, les États-Unis répondent toujours à la demande mondiale en sources énergétiques. Sous le mandat de Joe Biden, les États-Unis ont battu des records d’exploitation et d’exportation pour le gaz comme pour le pétrole.

Si des transitions sont à l’œuvre, comme en Californie avec un développement puissant du combo solaire-stockage, l’héritage pourrait bien se faire en trompe-l’œil.

L’industrie fossile reste majeure aux États-Unis, avec un avantage concurrentiel laissé au gaz par rapport aux autres énergies. Et la forte demande européenne après la fin des livraisons russes par gazoduc vient actuellement soutenir cette production abondante de gaz et de GNL.

Mais avec des terminaux de GNL à l’avenir incertain

Cependant, si le gaz continue d’être produit, la tendance à l’export doit faire face à ses contradictions climatiques.

Pressé par ses partisans écologistes, Joe Biden a concédé un moratoire sur leur construction en amont de la campagne électorale. S’il ne fait aucun doute que ce moratoire sera levé en cas d’élection remportée par Trump, la position de Kamala Harris sur le sujet est plus obscure… d’autant que les partenaires européens veulent poursuivre le développement de ces échanges commerciaux.

L’UE a pour objectif l’arrêt total des importations de gaz russe en 2027, au cours de la prochaine mandature étatsunienne. Par conséquent, en attendant des filières de biogaz réellement disponibles, le GNL des États-Unis va continuer d’être indispensable pour les Européens. Le Vieux continent, sur ce sujet, reste ainsi tributaire des choix stratégiques de son partenaire.

Un facteur de risque limité pour les marchés

La compétitivité industrielle mondiale en ligne de mire

Les répercussions sur le marché de l’énergie de la présidentielle de 2024 sont certaines à long terme. L’élection va probablement redéfinir la politique énergétique des États-Unis pour plusieurs années. Cela influencera directement l’offre existante en pétrole ou en GNL. Mais cela jouera aussi indirectement sur la compétitivité des entreprises et des industries européennes.

À très court terme, une exploitation débridée des énergies fossiles aux États-Unis avec Trump aux manettes donnerait aux industries étatsuniennes un accès grandissant à des sources locales et peu chères. Pour l’Europe, si cela assurerait une offre mondiale de gaz naturel liquéfié suffisante pour limiter toute hausse des prix, le défi de concurrencer le géant d’outre-Atlantique resterait présent à cause de l’écart de prix des énergies d’une région à l’autre.

Néanmoins, dans l’immédiat, la question qui pèse réellement sur les marchés du gaz est celle de la construction de nouveaux terminaux de GNL. Même si la position de Kamala Harris sur ce sujet est encore incertaine, l’élection pourrait agir comme un réel coup de frein à leur développement. Pourtant, malgré ce facteur, les cours du gaz naturel suivent une tendance à la baisse. Et selon l’AIE, celle-ci devrait être durable. Tous les indicateurs sont au vert sur les marchés mondiaux.

Une transition pour réduire cette nouvelle dépendance aux États-Unis

De plus, à long terme, les pays européens visent une souveraineté énergétique accrue en se tournant vers l’électrification des usages, le développement des renouvelables et la production de biogaz, limitant de fait le recours aux importations. En sortant des fossiles, les marchés énergétiques européens seront moins sensibles aux évolutions politiques venues de l’autre côté de l’Atlantique.

Par conséquent, l’influence des choix politiques opérés aux États-Unis devrait perdre en importance au fil des années pour les marchés de l’énergie européens, quel que soit le résultat de la prochaine élection entre Kamala Harris et Donald Trump. Cela pondère nécessairement le rôle du 5 novembre sur les cours du gaz pour des contrats à terme.

Finalement, c’est pour les États-Unis et surtout les États-Unis que l’élection aura un impact à moyen terme, en choisissant une voie propice à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou non. Ce qui est loin d’être négligeable pour la trajectoire du climat mondial lorsqu’on parle du deuxième émetteur mondial de CO2, après la Chine, à quelques jours de l’ouverture de la Cop29 à Bakou.