- Tarification du carbone : définition et mécanismes
- Combien coûte le carbone aujourd’hui ?
- Quels sont les impacts du coût carbone pour les entreprises ?
- Que financent la taxe et le marché carbone ?
- Stratégies des entreprises pour s’adapter au coût carbone
- La tarification carbone actuelle fonctionne-t-elle ?
- Conclusion : vers une année pivot en 2030 pour la baisse des émissions et la tarification du carbone
- Foire aux questions
- Quelles entreprises sont concernées par la tarification du carbone ?
- Quels sont les avantages de l’anticipation via une stratégie carbone ?
- Comment se préparer à des régulations plus strictes d’ici 2030 ?
- Comment rendre la taxe carbone acceptable pour les entreprises ?
Depuis sa mise en place, on parle de la taxe carbone (ou tarification du carbone) comme de l’épée de Damoclès qui poursuit l’activité des entreprises et la vie quotidienne des citoyens. Elle viendrait alourdir de tout son poids le pouvoir d’achat. Elle serait nuisible à la compétitivité européenne en rendant les coûts énergétiques toujours plus grands. Elle serait le cœur du réacteur de « l’écologie punitive » sans apporter de solution. Est-ce bien le cas ?
Pour démêler ce sujet complexe, il faut en revenir aux sources : pourquoi avoir mis un prix sur les émissions de CO2 ? Quels pays possèdent une taxe carbone ? Que payent réellement les entreprises ? Tout le monde y est-il soumis de la même manière ? Comment une taxe peut-elle faire baisser des émissions de gaz à effet de serre ? Enfin, et surtout, la tarification du carbone est-elle un coût irréversible sur le budget des professionnels ?
Tarification du carbone : définition et mécanismes
Qu’est-ce que la tarification du carbone ?
La tarification du carbone n’est pas exactement une taxe, ou pas seulement. Son principe réside simplement dans le fait d’apposer un prix aux émissions de gaz carboniques ou équivalents au CO2. C’est une redevance qui pèse sur des activités émettrices, de la pompe à essence (que vous allez brûler ensuite) aux usines métallurgiques qui doivent chauffer à haute température pour produire.
Ainsi, la tarification du carbone consiste à ajuster volontairement un signal prix afin qu’il reflète le coût réel de ces activités, en tenant compte des effets sur le climat ou sur la santé. Il s’agit d’une intervention de la force publique sur le marché pour obliger les acteurs économiques à diminuer leurs émissions carbone. Le principe est simple : on y réfléchit généralement à deux fois avant d’acheter un produit lorsque son coût explose – et on peut même envisager d’opter pour une option alternative mais décarbonée si les coûts deviennent similaires, voire moindre.
Plus concrètement, le carbone est donc taxé au niveau de la consommation d’énergies fossiles, afin notamment d’inciter à réduire cette consommation, principale source d’émissions de CO2. Mais la tarification carbone pourrait s’appliquer à d’autres activités émettrices. Le Danemark envisage de l’étendre à l’élevage à partir de 2030.
Pourquoi un prix du carbone a été mis en place ?
Pour comprendre l’intérêt d’une tarification du carbone, celle-ci peut être comparée aux taxes mises en place pour les cigarettes. Le tabac, en tant que matière première, a un coût qui correspond à un équilibre entre l’offre et la demande. Mais il existe aussi son coût réel, celui pour la société lorsque l’on prend en compte les effets sur la santé des fumeurs et des personnes exposées au tabagisme. Ce surcoût se doit d’être compensé et limité. Le choix a été fait de le faire peser sur les consommateurs – même si le phénomène de dépendance pose d’autres problèmes.
Le carbone, c’est le tabagisme des activités humaines et économiques depuis l’ère industrielle. Il a des effets climatiques et médicaux. La planète se réchauffe. Les océans s’acidifient. La biodiversité s’effondre. Le niveau des eaux monte. Les catastrophes climatiques, comme en septembre 2024 dans le centre de l’Europe, se multiplient. Tout cela a un coût.
Le cheminement a donc été assez semblable à la lutte contre le tabagisme. Il y a d’un côté l’équilibre entre l’offre et la demande qui permet de déterminer un prix du pétrole, du fioul, du gaz naturel, etc. De l’autre, il faut une contribution climatique.
Exemples concrets de systèmes de tarification dans le monde
L’idée d’une tarification du carbone a alors pris corps lors de la troisième Cop, en 1997, avec le protocole de Kyoto. Aujourd’hui, il existe une tarification du carbone dans la majorité des pays développés et émetteurs de CO2. C’est le cas, par exemple, en Chine, au Canada, dans certains États des États-Unis (Californie, Massachussetts…), Argentine, Japon, Afrique du Sud, etc. L’ensemble de l’Union européenne l’applique également. Dans ces pays, la tarification du carbone consiste parfois seulement à une taxe sur l’usage, à un unique système de quotas attribués à échanger… ou à un système mixte. Les recettes cumulées de ces systèmes dépassaient 100 milliards de dollars en 2023.
Cependant, quelques pays comme l’Inde ou l’Australie rechignent à l’appliquer, alors que leur contribution pourrait faire augmenter les émissions mondiales couvertes. De plus, chaque pays n’intègre pas les mêmes émissions dans sa tarification. En 2024, seulement 22 % des émissions carbone mondiales étaient taxées. Or, pour la France, la couverture est largement supérieure avec 40 % des émissions carbone sont soumises à la taxe carbone et un marché européen de quotas qui regroupe 38 % supplémentaires des émissions de l’UE.
Enfin, le montant de la tarification est également très variable au niveau mondial. Elle alterne entre 3 dollars par tonne au Mexique en 2020 à 123 dollars pour la Suède. En 2021, Ian Parry du FMI estimait la tarification moyenne à 3 dollars par tonne de CO2. Or, selon l’auteur, un tarif moyen de 75 dollars serait nécessaire afin de tenir l’objectif d’un réchauffement climatique limité à 2 °C.
Différence entre taxe carbone et marché de quotas (ETS)
En France, le choix retenu est celui d’une tarification avec deux systèmes parallèles. Cela permet de donner un coût au carbone en évitant certains effets négatifs pour des secteurs stratégiques. Il s’agit notamment de préserver la compétitivité internationale des activités carbonées essentielles ou de maîtriser plus facilement aux frontières les importations et exportations indirectes du carbone. Ainsi, il coexiste une taxe carbone, qui est en réalité un coût du carbone intégré dans les taxes énergétiques comme la TICGN ou les taxes sur l’essence, et des quotas carbone alloués et échangés par les entreprises sur un marché dédié.
La taxe concerne principalement les petites entreprises, qui la paye avec leur fourniture énergétique (fioul, essence, gaz…). Pour les quotas carbone, c’est l’État qui décide d’y soumettre certains secteurs comme des industries fortement émettrices. Ces dernières se voient allouer un nombre de quotas à respecter. Elles peuvent vendre le surplus, si elles émettent moins, sur un marché. Les entreprises ayant pollué davantage que leur quota peuvent ainsi en acheter. Plus le nombre de quotas baissera, plus leur coût devrait augmenter avec une raréfaction de l’offre. À terme, cela doit obliger les entreprises concernées à investir pour diminuer leurs émissions.
Combien coûte le carbone aujourd’hui ?
La taxe carbone : un gel à durée indéterminée ?
Le principe d’une taxe carbone a été acté en France par le grenelle de l’Environnement en 2007. Il faudra attendre ensuite sept ans pour que la mesure soit mise en place, avec le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en 2014. Depuis, on estime qu’elle couvre environ 40 % des émissions de carbone de la France en s’appliquant aux secteurs des transports, du résidentiel, du tertiaire et de l’industrie (hors industries soumises aux quotas).
La taxe carbone s’exerce en effet sur l’utilisation d’énergies fossiles (gaz, charbon et essence) sous le nom de « contribution énergie-climat » – comprise dans des taxes et accises. En 2014, son premier montant est modeste : 7 euros par tonne de CO2. Il augmente rapidement pour atteindre 44,6 €/tCO2 en 2018, dans un contexte de coût des matières premières en baisse. Mais l’épisode des gilets jaunes en pleine remontée des prix du pétrole stoppe totalement cette progression. Depuis, la taxe est gelée au même niveau d’imposition. À ce niveau, on estime que la composante carbone représente environ 0,12 centimes d’euro par litre d’essence, 14 centimes pour le diesel et jusqu’à 16 centimes pour le fioul.
Les quotas carbone : entre marché et réglementations, une évolution par à-coups
Le système d’échange de quotas carbone, marqué dès son entrée en vigueur dans l’UE par le scandale de la fraude à la TVA, connait également une histoire mouvementée. Si l’Europe a défini une trajectoire de baisse jusqu’en 2030 du nombre de quotas disponibles, dans l’objectif (depuis une directive de 2022) de diminuer en 2030 de 63 % les émissions du secteur industriel par rapport à 2005, le coût du carbone est longtemps resté bas. Ainsi, jusqu’en 2017, ce marché a stagné aux alentours de 10 €/tCO2. Il s’agissait notamment de la conséquence d’une croissance atone en Europe après la crise de 2008. La baisse de la production a entraîné un surplus de quotas disponibles, faisant baisser les prix.
Ce retard à l’allumage a créé une disparité entre la taxe et les quotas, favorable aux seconds. En pleine crise des gilets jaunes, les quotas carbone se situaient aux alentours de 30 €/tCO2, contre 44,6 €/tCO2. La réglementation européenne s’est adaptée pour diminuer les quotas disponibles via les Plans nationaux d’allocation des quotas (PNAQ), pour supprimer un certain nombre de quotas auparavant gratuits, etc.
Depuis 2021, le prix des quotas a clairement augmenté. Il se situe désormais entre 70 et 80 €/tCO2. Pour renforcer cette dynamique, l’UE a prévu de nouvelles suppressions de quotas disponibles et l’extension – en 2027 ou 2028 – à de nouveaux secteurs comme l’incinération des déchets municipaux, le chauffage des bâtiments ou les transports routiers.
Le carbone coûte-t-il trop cher ?
Aujourd’hui, le carbone reste donc relativement accessible et en deçà des objectifs initialement fixés. Il y a différentes raisons à cela, notamment une acceptabilité encore difficile pour les consommateurs qui voient leurs coûts directs augmenter. Ainsi, la colère des gilets jaunes face à la crainte de prix du carburant prohibitifs a poussé le gouvernement à geler le montant de la taxe carbone. Aujourd’hui, aucune évolution immédiate de la taxe n’est prévue. Par conséquent, depuis plusieurs années, certaines taxations évoluent moins vite que d’autres et semble décorrélées des objectifs climatiques. C’est le cas de l’accise sur le gaz par rapport à celle sur l’électricité dans le PLF 2025.
Cependant, cette évolution lente était aussi voulue. Elle évite un effet d’opportunités lié à une diminution trop rapide de la demande face à une offre toujours aussi abondante. Cela aurait provoqué des prix bas, même avec une taxe forte. C’est tout l’enjeu également derrière le calcul des quotas carbone accordés tous les ans. Pour garder la maîtrise des coûts énergétiques et laisser le temps aux acteurs économiques d’investir dans de nouvelles solutions, le prix du carbone doit ainsi connaître une évolution maîtrisée et progressive.
Quels sont les impacts du coût carbone pour les entreprises ?
Un effet économique indéniable : une hausse des coûts énergétiques
Car, évidemment, le système des quotas carbone ou de la taxe carbone vient grever le budget des entreprises. De fait, il ajoute un coût sur une fourniture souvent indispensable pour la production. Pour des industries à forte intensité carbone, comme la production d’acier, la chimie ou le transport, sa mise en place a pu nuire à l’activité. Ainsi, on constate une baisse de 2 % des effectifs dans les entreprises énergivores. Néanmoins, une étude de l’OCDE estime que les salariés ont pu retrouver un emploi dans le même secteur, au sein d’une entreprise plus vertueuse. Son effet sur l’emploi serait donc quasi nul.
En pleine crise de l’énergie entre 2021 et 2022, la question de la tarification du carbone posait également question… par le recours (presque inévitable) à des énergies fossiles pour créer de l’électricité. En effet, le prix du carbone vient s’ajouter aux coûts du gaz ou du charbon. C’est d’ailleurs par l’introduction d’un prix carbone que le charbon est devenu beaucoup moins compétitif que le gaz dans le système du merit order. Mais, avec un prix déterminé par une dernière centrale carbonée, les coûts ont d’autant plus augmenté… même avec une électricité majoritairement décarbonée, comme en France. Résultat : la hausse des prix de l’énergie s’est reportée sur tous.
Compétitivité internationale : une menace ou une opportunité ?
Par ailleurs, de nombreuses critiques sur la tarification du carbone portent sur la perte de compétitivité de certaines industries au niveau national ou régional. Autrement dit, le fait de rendre payant le carbone peut inciter des industries émettrices à faire « fuir leurs émissions » et à les délocaliser dans des régions moins voire non taxées, comme dans une partie de l’Asie.
Pour éviter cela, des compensations ont été imaginées. Il s’agit en particulier du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Europe. Concrètement, les produits importés à l’intérieur de l’espace européen sont soumis à des quotas carbone similaires à ceux des industries européennes – avec prise en compte de la taxe carbone initiale si elle existe, invitant ainsi les pays concernés à l’adopter sans être pénalisés pour leurs exports. Cela évite ainsi l’effet d’aubaine d’une délocalisation, en la rendant neutre fiscalement sur ce point. Entré en vigueur fin 2023, le MACF est en phase transitoire avant d’être rendu opérationnel courant 2026.
Que financent la taxe et le marché carbone ?
La Banque mondiale estimait les recettes globales de la tarification carbone à 104 milliards de dollars en 2023, record historique. En France, les chiffres se font plus rares. Les recettes se situaient toutefois déjà à plus de 9 milliards d’euros en 2018, avant la hausse sur le marché européen des quotas.
Théoriquement, ces revenus sont affectés au budget général de l’État. Néanmoins, ces recettes n’ont pas toujours été distribués de la même manière. Ainsi, les revenus du carbone ont pu servir à financer le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) sous François Hollande. En 2016, sur les 3,8 milliards captés par les contributions carbone, 3 milliards étaient reversés au titre du CICE.
Depuis, au moins 20 % de ce montant doit alors être utilisé pour la transition énergétique et la finance verte. Il s’agit par exemple des subventions à la rénovation énergétique des bâtiments via MaPrimeRénov, à la transition vers les transports électriques ou encore au déploiement de nouvelles centrales de production électrique décarbonée.
Stratégies des entreprises pour s’adapter au coût carbone
Intégrer la tarification dans les coûts de production
Pour prendre la pleine mesure des coûts du carbone et adopter une stratégie réfléchie sur le sujet, de plus en plus d’entreprises optent pour le principe de la tarification interne du carbone. Pour cela, il s’agit d’attribuer une valeur monétaire à ses propres émissions de CO2. Ainsi, l’impact environnemental de son activité devient plus lisible. Il apparaît dans les bilans financiers, dans les arbitrages potentiels sur les investissements à accomplir pour décarboner. C’est un outil stratégique d’anticipation qui évite de subir les changements règlementaires qui peuvent surgir au niveau politique. Il permet également d’établir un plan d’action pour une politique RSE efficace.
Un autre outil peut s’avérer utile aux entreprises : la valeur tutélaire du carbone. Bien qu’elle soit théorique, celle-ci permet notamment d’arbitrer les investissements des pouvoirs publics. Les acteurs privés voire les ménages peuvent se l’approprier également pour mieux appréhender leurs dépenses. Au-delà du simple coût immédiat, la valeur tutélaire y ajoute la notion d’action pour le climat – chaque action permettant d’avancer sur le chemin vers la neutralité carbone et le dérèglement causant aussi des pertes financières et des destructions économiques. Cela permet de définir quelles innovations seront rentables à la fois pour l’activité économique et pour le climat, ou à partir de quel montant une action peut faire sens si elle permet de réduire ses émissions.
Innovations, investissements et CEE : des économies d’énergie à l’économie bas carbone
Ainsi, la tarification du carbone est bien un outil qui incite au changement par les innovations comme par les investissements, par une transition énergétique concrète. Bien plus que punitive, au sens où elle viendrait seulement sanctionner une forme de consommation, elle est une manière de stimuler l’usage d’énergies propres ou de consommations durables et de valoriser l’efficacité énergétique.
C’est en ce sens également que le dispositif des Certificats d’économie d’énergie intègre parfois une composante carbone. Car les actions subventionnées ne permettent pas seulement de moins consommer, mais aussi de baisser les émissions de gaz à effet de serre. Le remplacement d’une chaudière à fioul par un système de pompes à chaleur dans une copropriété ou par un raccordement à un réseau de chaleur urbain, par exemple, vient agir sur le carbone. Pour le mettre en avant, des « coups de pouce » temporaires sont régulièrement accordés sur des fiches CEE standardisées.
Depuis 2024, les sites industriels soumis au PNAC peuvent aussi avoir recours à des CEE – qui feront diminuer leurs émissions. Enfin, dans un rapport de 2021, l’Ademe préconisait l’intégration directe des économies de CO2 dans le calcul des CEE à partir de leur 6e période, qui doit commencer le 1er janvier 2026. L’Union française de l’électricité (UFE) s’est également exprimé en faveur d’une prise en compte du contenu carbone de chaque énergie dans la contribution aux CEE.
Enfin, la tarification du carbone invite concrètement toutes les entreprises à opter pour des solutions bas carbone lors de leurs investissements, avec des aides gouvernementales, régionales, locales redistributives… Parmi les dispositifs existants, le Fonds chaleur agit sur la production de chaleur à l’aide d’énergies renouvelables et la récupération de la chaleur fatale. Des crédits d’impôts ont également été créés, comme celui pour la rénovation thermique des bâtiments ou pour l’industrie verte. Ce dernier a été mis en place début 2024 pour améliorer le développement des filières de l’éolien, des panneaux solaires, des pompes à chaleur et des batteries dans l’Hexagone.
La tarification carbone actuelle fonctionne-t-elle ?
Des énergies carbonées encore financièrement favorables pour les entreprises ?
L’électricité est bien plus taxée aujourd’hui, comparativement, que de nombreuses énergies fossiles. Dans l’immédiat, le signal prix semble trop faible pour diminuer suffisamment vite les émissions de CO2 et limiter le réchauffement climatique à 2 °C à la fin du siècle. Aujourd’hui, la taxe carbone comme le marché des quotas carbone ne remplissent pas tous leurs rôles. Peu acceptées, ces tarifications du carbone ne rendent pas plus avantageuses certaines solutions décarbonées – plus particulièrement l’électrification en France. Le coût des quotas a augmenté ces dernières années, mais le système peine à protéger les industries européennes tout en maintenant un tarif haut.
Pour autant, à moyen terme, la compétitivité des solutions décarbonées pourrait devenir rentable, d’autant qu’elles seront de moins en moins soumises à une fiscalité désavantageuse. De plus, l’électrification des process est généralement synonyme d’amélioration de l’efficacité énergétique. Cela doit permettre de diminuer ses besoins énergétiques par rapport aux fossiles et donc permettre une amélioration de sa compétitivité.
Une baisse des émissions qui tarde
Par conséquent, les émissions carbone ne baissent pas aussi rapidement que prévu – sans parler de la compensation trop faible, avec des puits de carbone insuffisants en France par exemple. Le climat continue de s’affoler. L’année 2024 a marqué l’atteinte du 1,5 °C supérieur à la période préindustrielle au niveau mondial, avec des émissions toujours en hausse. L’Europe ne fait pas exception dans ce bilan peu favorable, avec une baisse réduite et des émissions importées toujours plus nombreuses.
Pour autant, les débuts de la tarification du carbone dans l’UE ont eu un effet mobilisateur essentiel. Ils ont permis d’éliminer rapidement les émissions les plus faciles à supprimer. Le défi désormais est l’accélération de cette décarbonation, avec des changements plus structurels et qui touchent aux habitudes – chauffage, transports, process industriels… –, demandant même parfois de changer de paradigme pour s’adapter à de nouveaux enjeux – flexibilité électrique et autoconsommation électrique en tête.
Pour parvenir à agir plus rapidement, des solutions existent. La mise en application des taxes carbone aux frontières, grâce au MACF, doit permettre de défendre l’implantation d’industries bas carbone locales. De plus, l’exécutif fait en sorte de soutenir les industriels face à la désindustrialisation, tout en les incitant plus clairement à décarboner leur activité. Pour cela, il a lancé un grand plan d’investissements dans de nouvelles solutions. C’est tout l’enjeu autour du plan France 2030 défendu par le pouvoir.
Conclusion : vers une année pivot en 2030 pour la baisse des émissions et la tarification du carbone
D’ici 2030, pour revenir sur la courbe de réduction d’une neutralité carbone en 2050, la tarification du carbone risque de changer en profondeur. En effet, l’objectif est toujours fixé par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 d’atteindre une taxe carbone de 100 €/tonne de CO2 (même si l’objectif de 56 € pour 2020 n’a lui pas été atteint). D’après l’Union européenne, ce montant correspondrait en moyenne à un coût à hauteur de 10 % du chiffre d’affaires des entreprises. Et celui-ci ne s’arrêtera pas forcément là, même si on peut remarquer que les taxes carbones dans les pays nordiques, mis en place plus précocement, demeurent depuis plusieurs années à un niveau stable, légèrement au-dessus des 100 €/tCO2.
Dès lors, alors que la part carbone des taxes énergétiques est gelée à 44,60 euros par tonne de CO2 depuis 2018 en France, il est probable que l’on connaisse un rebond rapide de la taxation et du prix des énergies fossiles. Pour les entreprises, il devient urgent de ne pas tenir compte uniquement des coûts immédiats du carbone. Elles doivent adopter une stratégie long terme qui prenne toute la mesure des régulations climatiques prévues dans les stratégies françaises et européennes pour l’énergie et le climat, comme la Stratégie nationale bas carbone.
Or, dans ces documents, l’objectif est clair : à partir de 2030 et jusqu’en 2050, date théorique de la neutralité carbone, l’usage des énergies fossiles doit diminuer drastiquement. Pour cela, le coût carbone est amené à prendre une ampleur inédite pour devenir à terme un réel frein à l’utilisation des ressources fossiles – ou, pour le voir plus positivement, offrir un véritable appel d’air aux investissements décarbonés.
Seule une stratégie bas carbone, avec électrification des usages et développement de l’efficacité énergétique, semble à même de garantir une stabilité et une maîtrise de ses coûts de production. Là est l’enjeu clé pour les entreprises de toute taille, des industries aux entreprises agricoles, sans oublier le secteur tertiaire, sur la question de la tarification du carbone.
Foire aux questions
Article rédigé par Côme Tessier
Rédacteur web pour Collectif Énergie, je m’évertue à glisser des touches sportives ou des notes sucrées pour rendre plus accessibles les sujets liés à l’énergie. Sans jamais oublier de traquer les doubles espaces qui perturbent la lecture.
Depuis sa mise en place, on parle de la taxe carbone (ou tarification du carbone) comme de l’épée de Damoclès qui poursuit l’activité des entreprises et la vie quotidienne des citoyens. Elle viendrait alourdir de tout son poids le pouvoir d’achat. Elle serait nuisible à la compétitivité européenne en rendant les coûts énergétiques toujours plus grands. Elle serait le cœur du réacteur de « l’écologie punitive » sans apporter de solution. Est-ce bien le cas ?
Pour démêler ce sujet complexe, il faut en revenir aux sources : pourquoi avoir mis un prix sur les émissions de CO2 ? Quels pays possèdent une taxe carbone ? Que payent réellement les entreprises ? Tout le monde y est-il soumis de la même manière ? Comment une taxe peut-elle faire baisser des émissions de gaz à effet de serre ? Enfin, et surtout, la tarification du carbone est-elle un coût irréversible sur le budget des professionnels ?
Tarification du carbone : définition et mécanismes
Qu’est-ce que la tarification du carbone ?
La tarification du carbone n’est pas exactement une taxe, ou pas seulement. Son principe réside simplement dans le fait d’apposer un prix aux émissions de gaz carboniques ou équivalents au CO2. C’est une redevance qui pèse sur des activités émettrices, de la pompe à essence (que vous allez brûler ensuite) aux usines métallurgiques qui doivent chauffer à haute température pour produire.
Ainsi, la tarification du carbone consiste à ajuster volontairement un signal prix afin qu’il reflète le coût réel de ces activités, en tenant compte des effets sur le climat ou sur la santé. Il s’agit d’une intervention de la force publique sur le marché pour obliger les acteurs économiques à diminuer leurs émissions carbone. Le principe est simple : on y réfléchit généralement à deux fois avant d’acheter un produit lorsque son coût explose – et on peut même envisager d’opter pour une option alternative mais décarbonée si les coûts deviennent similaires, voire moindre.
Plus concrètement, le carbone est donc taxé au niveau de la consommation d’énergies fossiles, afin notamment d’inciter à réduire cette consommation, principale source d’émissions de CO2. Mais la tarification carbone pourrait s’appliquer à d’autres activités émettrices. Le Danemark envisage de l’étendre à l’élevage à partir de 2030.
Pourquoi un prix du carbone a été mis en place ?
Pour comprendre l’intérêt d’une tarification du carbone, celle-ci peut être comparée aux taxes mises en place pour les cigarettes. Le tabac, en tant que matière première, a un coût qui correspond à un équilibre entre l’offre et la demande. Mais il existe aussi son coût réel, celui pour la société lorsque l’on prend en compte les effets sur la santé des fumeurs et des personnes exposées au tabagisme. Ce surcoût se doit d’être compensé et limité. Le choix a été fait de le faire peser sur les consommateurs – même si le phénomène de dépendance pose d’autres problèmes.
Le carbone, c’est le tabagisme des activités humaines et économiques depuis l’ère industrielle. Il a des effets climatiques et médicaux. La planète se réchauffe. Les océans s’acidifient. La biodiversité s’effondre. Le niveau des eaux monte. Les catastrophes climatiques, comme en septembre 2024 dans le centre de l’Europe, se multiplient. Tout cela a un coût.
Le cheminement a donc été assez semblable à la lutte contre le tabagisme. Il y a d’un côté l’équilibre entre l’offre et la demande qui permet de déterminer un prix du pétrole, du fioul, du gaz naturel, etc. De l’autre, il faut une contribution climatique.
Exemples concrets de systèmes de tarification dans le monde
L’idée d’une tarification du carbone a alors pris corps lors de la troisième Cop, en 1997, avec le protocole de Kyoto. Aujourd’hui, il existe une tarification du carbone dans la majorité des pays développés et émetteurs de CO2. C’est le cas, par exemple, en Chine, au Canada, dans certains États des États-Unis (Californie, Massachussetts…), Argentine, Japon, Afrique du Sud, etc. L’ensemble de l’Union européenne l’applique également. Dans ces pays, la tarification du carbone consiste parfois seulement à une taxe sur l’usage, à un unique système de quotas attribués à échanger… ou à un système mixte. Les recettes cumulées de ces systèmes dépassaient 100 milliards de dollars en 2023.
Cependant, quelques pays comme l’Inde ou l’Australie rechignent à l’appliquer, alors que leur contribution pourrait faire augmenter les émissions mondiales couvertes. De plus, chaque pays n’intègre pas les mêmes émissions dans sa tarification. En 2024, seulement 22 % des émissions carbone mondiales étaient taxées. Or, pour la France, la couverture est largement supérieure avec 40 % des émissions carbone sont soumises à la taxe carbone et un marché européen de quotas qui regroupe 38 % supplémentaires des émissions de l’UE.
Enfin, le montant de la tarification est également très variable au niveau mondial. Elle alterne entre 3 dollars par tonne au Mexique en 2020 à 123 dollars pour la Suède. En 2021, Ian Parry du FMI estimait la tarification moyenne à 3 dollars par tonne de CO2. Or, selon l’auteur, un tarif moyen de 75 dollars serait nécessaire afin de tenir l’objectif d’un réchauffement climatique limité à 2 °C.
Différence entre taxe carbone et marché de quotas (ETS)
En France, le choix retenu est celui d’une tarification avec deux systèmes parallèles. Cela permet de donner un coût au carbone en évitant certains effets négatifs pour des secteurs stratégiques. Il s’agit notamment de préserver la compétitivité internationale des activités carbonées essentielles ou de maîtriser plus facilement aux frontières les importations et exportations indirectes du carbone. Ainsi, il coexiste une taxe carbone, qui est en réalité un coût du carbone intégré dans les taxes énergétiques comme la TICGN ou les taxes sur l’essence, et des quotas carbone alloués et échangés par les entreprises sur un marché dédié.
La taxe concerne principalement les petites entreprises, qui la paye avec leur fourniture énergétique (fioul, essence, gaz…). Pour les quotas carbone, c’est l’État qui décide d’y soumettre certains secteurs comme des industries fortement émettrices. Ces dernières se voient allouer un nombre de quotas à respecter. Elles peuvent vendre le surplus, si elles émettent moins, sur un marché. Les entreprises ayant pollué davantage que leur quota peuvent ainsi en acheter. Plus le nombre de quotas baissera, plus leur coût devrait augmenter avec une raréfaction de l’offre. À terme, cela doit obliger les entreprises concernées à investir pour diminuer leurs émissions.
Combien coûte le carbone aujourd’hui ?
La taxe carbone : un gel à durée indéterminée ?
Le principe d’une taxe carbone a été acté en France par le grenelle de l’Environnement en 2007. Il faudra attendre ensuite sept ans pour que la mesure soit mise en place, avec le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en 2014. Depuis, on estime qu’elle couvre environ 40 % des émissions de carbone de la France en s’appliquant aux secteurs des transports, du résidentiel, du tertiaire et de l’industrie (hors industries soumises aux quotas).
La taxe carbone s’exerce en effet sur l’utilisation d’énergies fossiles (gaz, charbon et essence) sous le nom de « contribution énergie-climat » – comprise dans des taxes et accises. En 2014, son premier montant est modeste : 7 euros par tonne de CO2. Il augmente rapidement pour atteindre 44,6 €/tCO2 en 2018, dans un contexte de coût des matières premières en baisse. Mais l’épisode des gilets jaunes en pleine remontée des prix du pétrole stoppe totalement cette progression. Depuis, la taxe est gelée au même niveau d’imposition. À ce niveau, on estime que la composante carbone représente environ 0,12 centimes d’euro par litre d’essence, 14 centimes pour le diesel et jusqu’à 16 centimes pour le fioul.
Les quotas carbone : entre marché et réglementations, une évolution par à-coups
Le système d’échange de quotas carbone, marqué dès son entrée en vigueur dans l’UE par le scandale de la fraude à la TVA, connait également une histoire mouvementée. Si l’Europe a défini une trajectoire de baisse jusqu’en 2030 du nombre de quotas disponibles, dans l’objectif (depuis une directive de 2022) de diminuer en 2030 de 63 % les émissions du secteur industriel par rapport à 2005, le coût du carbone est longtemps resté bas. Ainsi, jusqu’en 2017, ce marché a stagné aux alentours de 10 €/tCO2. Il s’agissait notamment de la conséquence d’une croissance atone en Europe après la crise de 2008. La baisse de la production a entraîné un surplus de quotas disponibles, faisant baisser les prix.
Ce retard à l’allumage a créé une disparité entre la taxe et les quotas, favorable aux seconds. En pleine crise des gilets jaunes, les quotas carbone se situaient aux alentours de 30 €/tCO2, contre 44,6 €/tCO2. La réglementation européenne s’est adaptée pour diminuer les quotas disponibles via les Plans nationaux d’allocation des quotas (PNAQ), pour supprimer un certain nombre de quotas auparavant gratuits, etc.
Depuis 2021, le prix des quotas a clairement augmenté. Il se situe désormais entre 70 et 80 €/tCO2. Pour renforcer cette dynamique, l’UE a prévu de nouvelles suppressions de quotas disponibles et l’extension – en 2027 ou 2028 – à de nouveaux secteurs comme l’incinération des déchets municipaux, le chauffage des bâtiments ou les transports routiers.
Le carbone coûte-t-il trop cher ?
Aujourd’hui, le carbone reste donc relativement accessible et en deçà des objectifs initialement fixés. Il y a différentes raisons à cela, notamment une acceptabilité encore difficile pour les consommateurs qui voient leurs coûts directs augmenter. Ainsi, la colère des gilets jaunes face à la crainte de prix du carburant prohibitifs a poussé le gouvernement à geler le montant de la taxe carbone. Aujourd’hui, aucune évolution immédiate de la taxe n’est prévue. Par conséquent, depuis plusieurs années, certaines taxations évoluent moins vite que d’autres et semble décorrélées des objectifs climatiques. C’est le cas de l’accise sur le gaz par rapport à celle sur l’électricité dans le PLF 2025.
Cependant, cette évolution lente était aussi voulue. Elle évite un effet d’opportunités lié à une diminution trop rapide de la demande face à une offre toujours aussi abondante. Cela aurait provoqué des prix bas, même avec une taxe forte. C’est tout l’enjeu également derrière le calcul des quotas carbone accordés tous les ans. Pour garder la maîtrise des coûts énergétiques et laisser le temps aux acteurs économiques d’investir dans de nouvelles solutions, le prix du carbone doit ainsi connaître une évolution maîtrisée et progressive.
Quels sont les impacts du coût carbone pour les entreprises ?
Un effet économique indéniable : une hausse des coûts énergétiques
Car, évidemment, le système des quotas carbone ou de la taxe carbone vient grever le budget des entreprises. De fait, il ajoute un coût sur une fourniture souvent indispensable pour la production. Pour des industries à forte intensité carbone, comme la production d’acier, la chimie ou le transport, sa mise en place a pu nuire à l’activité. Ainsi, on constate une baisse de 2 % des effectifs dans les entreprises énergivores. Néanmoins, une étude de l’OCDE estime que les salariés ont pu retrouver un emploi dans le même secteur, au sein d’une entreprise plus vertueuse. Son effet sur l’emploi serait donc quasi nul.
En pleine crise de l’énergie entre 2021 et 2022, la question de la tarification du carbone posait également question… par le recours (presque inévitable) à des énergies fossiles pour créer de l’électricité. En effet, le prix du carbone vient s’ajouter aux coûts du gaz ou du charbon. C’est d’ailleurs par l’introduction d’un prix carbone que le charbon est devenu beaucoup moins compétitif que le gaz dans le système du merit order. Mais, avec un prix déterminé par une dernière centrale carbonée, les coûts ont d’autant plus augmenté… même avec une électricité majoritairement décarbonée, comme en France. Résultat : la hausse des prix de l’énergie s’est reportée sur tous.
Compétitivité internationale : une menace ou une opportunité ?
Par ailleurs, de nombreuses critiques sur la tarification du carbone portent sur la perte de compétitivité de certaines industries au niveau national ou régional. Autrement dit, le fait de rendre payant le carbone peut inciter des industries émettrices à faire « fuir leurs émissions » et à les délocaliser dans des régions moins voire non taxées, comme dans une partie de l’Asie.
Pour éviter cela, des compensations ont été imaginées. Il s’agit en particulier du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Europe. Concrètement, les produits importés à l’intérieur de l’espace européen sont soumis à des quotas carbone similaires à ceux des industries européennes – avec prise en compte de la taxe carbone initiale si elle existe, invitant ainsi les pays concernés à l’adopter sans être pénalisés pour leurs exports. Cela évite ainsi l’effet d’aubaine d’une délocalisation, en la rendant neutre fiscalement sur ce point. Entré en vigueur fin 2023, le MACF est en phase transitoire avant d’être rendu opérationnel courant 2026.
Que financent la taxe et le marché carbone ?
La Banque mondiale estimait les recettes globales de la tarification carbone à 104 milliards de dollars en 2023, record historique. En France, les chiffres se font plus rares. Les recettes se situaient toutefois déjà à plus de 9 milliards d’euros en 2018, avant la hausse sur le marché européen des quotas.
Théoriquement, ces revenus sont affectés au budget général de l’État. Néanmoins, ces recettes n’ont pas toujours été distribués de la même manière. Ainsi, les revenus du carbone ont pu servir à financer le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) sous François Hollande. En 2016, sur les 3,8 milliards captés par les contributions carbone, 3 milliards étaient reversés au titre du CICE.
Depuis, au moins 20 % de ce montant doit alors être utilisé pour la transition énergétique et la finance verte. Il s’agit par exemple des subventions à la rénovation énergétique des bâtiments via MaPrimeRénov, à la transition vers les transports électriques ou encore au déploiement de nouvelles centrales de production électrique décarbonée.
Stratégies des entreprises pour s’adapter au coût carbone
Intégrer la tarification dans les coûts de production
Pour prendre la pleine mesure des coûts du carbone et adopter une stratégie réfléchie sur le sujet, de plus en plus d’entreprises optent pour le principe de la tarification interne du carbone. Pour cela, il s’agit d’attribuer une valeur monétaire à ses propres émissions de CO2. Ainsi, l’impact environnemental de son activité devient plus lisible. Il apparaît dans les bilans financiers, dans les arbitrages potentiels sur les investissements à accomplir pour décarboner. C’est un outil stratégique d’anticipation qui évite de subir les changements règlementaires qui peuvent surgir au niveau politique. Il permet également d’établir un plan d’action pour une politique RSE efficace.
Un autre outil peut s’avérer utile aux entreprises : la valeur tutélaire du carbone. Bien qu’elle soit théorique, celle-ci permet notamment d’arbitrer les investissements des pouvoirs publics. Les acteurs privés voire les ménages peuvent se l’approprier également pour mieux appréhender leurs dépenses. Au-delà du simple coût immédiat, la valeur tutélaire y ajoute la notion d’action pour le climat – chaque action permettant d’avancer sur le chemin vers la neutralité carbone et le dérèglement causant aussi des pertes financières et des destructions économiques. Cela permet de définir quelles innovations seront rentables à la fois pour l’activité économique et pour le climat, ou à partir de quel montant une action peut faire sens si elle permet de réduire ses émissions.
Innovations, investissements et CEE : des économies d’énergie à l’économie bas carbone
Ainsi, la tarification du carbone est bien un outil qui incite au changement par les innovations comme par les investissements, par une transition énergétique concrète. Bien plus que punitive, au sens où elle viendrait seulement sanctionner une forme de consommation, elle est une manière de stimuler l’usage d’énergies propres ou de consommations durables et de valoriser l’efficacité énergétique.
C’est en ce sens également que le dispositif des Certificats d’économie d’énergie intègre parfois une composante carbone. Car les actions subventionnées ne permettent pas seulement de moins consommer, mais aussi de baisser les émissions de gaz à effet de serre. Le remplacement d’une chaudière à fioul par un système de pompes à chaleur dans une copropriété ou par un raccordement à un réseau de chaleur urbain, par exemple, vient agir sur le carbone. Pour le mettre en avant, des « coups de pouce » temporaires sont régulièrement accordés sur des fiches CEE standardisées.
Depuis 2024, les sites industriels soumis au PNAC peuvent aussi avoir recours à des CEE – qui feront diminuer leurs émissions. Enfin, dans un rapport de 2021, l’Ademe préconisait l’intégration directe des économies de CO2 dans le calcul des CEE à partir de leur 6e période, qui doit commencer le 1er janvier 2026. L’Union française de l’électricité (UFE) s’est également exprimé en faveur d’une prise en compte du contenu carbone de chaque énergie dans la contribution aux CEE.
Enfin, la tarification du carbone invite concrètement toutes les entreprises à opter pour des solutions bas carbone lors de leurs investissements, avec des aides gouvernementales, régionales, locales redistributives… Parmi les dispositifs existants, le Fonds chaleur agit sur la production de chaleur à l’aide d’énergies renouvelables et la récupération de la chaleur fatale. Des crédits d’impôts ont également été créés, comme celui pour la rénovation thermique des bâtiments ou pour l’industrie verte. Ce dernier a été mis en place début 2024 pour améliorer le développement des filières de l’éolien, des panneaux solaires, des pompes à chaleur et des batteries dans l’Hexagone.
La tarification carbone actuelle fonctionne-t-elle ?
Des énergies carbonées encore financièrement favorables pour les entreprises ?
L’électricité est bien plus taxée aujourd’hui, comparativement, que de nombreuses énergies fossiles. Dans l’immédiat, le signal prix semble trop faible pour diminuer suffisamment vite les émissions de CO2 et limiter le réchauffement climatique à 2 °C à la fin du siècle. Aujourd’hui, la taxe carbone comme le marché des quotas carbone ne remplissent pas tous leurs rôles. Peu acceptées, ces tarifications du carbone ne rendent pas plus avantageuses certaines solutions décarbonées – plus particulièrement l’électrification en France. Le coût des quotas a augmenté ces dernières années, mais le système peine à protéger les industries européennes tout en maintenant un tarif haut.
Pour autant, à moyen terme, la compétitivité des solutions décarbonées pourrait devenir rentable, d’autant qu’elles seront de moins en moins soumises à une fiscalité désavantageuse. De plus, l’électrification des process est généralement synonyme d’amélioration de l’efficacité énergétique. Cela doit permettre de diminuer ses besoins énergétiques par rapport aux fossiles et donc permettre une amélioration de sa compétitivité.
Une baisse des émissions qui tarde
Par conséquent, les émissions carbone ne baissent pas aussi rapidement que prévu – sans parler de la compensation trop faible, avec des puits de carbone insuffisants en France par exemple. Le climat continue de s’affoler. L’année 2024 a marqué l’atteinte du 1,5 °C supérieur à la période préindustrielle au niveau mondial, avec des émissions toujours en hausse. L’Europe ne fait pas exception dans ce bilan peu favorable, avec une baisse réduite et des émissions importées toujours plus nombreuses.
Pour autant, les débuts de la tarification du carbone dans l’UE ont eu un effet mobilisateur essentiel. Ils ont permis d’éliminer rapidement les émissions les plus faciles à supprimer. Le défi désormais est l’accélération de cette décarbonation, avec des changements plus structurels et qui touchent aux habitudes – chauffage, transports, process industriels… –, demandant même parfois de changer de paradigme pour s’adapter à de nouveaux enjeux – flexibilité électrique et autoconsommation électrique en tête.
Pour parvenir à agir plus rapidement, des solutions existent. La mise en application des taxes carbone aux frontières, grâce au MACF, doit permettre de défendre l’implantation d’industries bas carbone locales. De plus, l’exécutif fait en sorte de soutenir les industriels face à la désindustrialisation, tout en les incitant plus clairement à décarboner leur activité. Pour cela, il a lancé un grand plan d’investissements dans de nouvelles solutions. C’est tout l’enjeu autour du plan France 2030 défendu par le pouvoir.
Conclusion : vers une année pivot en 2030 pour la baisse des émissions et la tarification du carbone
D’ici 2030, pour revenir sur la courbe de réduction d’une neutralité carbone en 2050, la tarification du carbone risque de changer en profondeur. En effet, l’objectif est toujours fixé par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 d’atteindre une taxe carbone de 100 €/tonne de CO2 (même si l’objectif de 56 € pour 2020 n’a lui pas été atteint). D’après l’Union européenne, ce montant correspondrait en moyenne à un coût à hauteur de 10 % du chiffre d’affaires des entreprises. Et celui-ci ne s’arrêtera pas forcément là, même si on peut remarquer que les taxes carbones dans les pays nordiques, mis en place plus précocement, demeurent depuis plusieurs années à un niveau stable, légèrement au-dessus des 100 €/tCO2.
Dès lors, alors que la part carbone des taxes énergétiques est gelée à 44,60 euros par tonne de CO2 depuis 2018 en France, il est probable que l’on connaisse un rebond rapide de la taxation et du prix des énergies fossiles. Pour les entreprises, il devient urgent de ne pas tenir compte uniquement des coûts immédiats du carbone. Elles doivent adopter une stratégie long terme qui prenne toute la mesure des régulations climatiques prévues dans les stratégies françaises et européennes pour l’énergie et le climat, comme la Stratégie nationale bas carbone.
Or, dans ces documents, l’objectif est clair : à partir de 2030 et jusqu’en 2050, date théorique de la neutralité carbone, l’usage des énergies fossiles doit diminuer drastiquement. Pour cela, le coût carbone est amené à prendre une ampleur inédite pour devenir à terme un réel frein à l’utilisation des ressources fossiles – ou, pour le voir plus positivement, offrir un véritable appel d’air aux investissements décarbonés.
Seule une stratégie bas carbone, avec électrification des usages et développement de l’efficacité énergétique, semble à même de garantir une stabilité et une maîtrise de ses coûts de production. Là est l’enjeu clé pour les entreprises de toute taille, des industries aux entreprises agricoles, sans oublier le secteur tertiaire, sur la question de la tarification du carbone.
Foire aux questions
Article rédigé par Côme Tessier
Rédacteur web pour Collectif Énergie, je m’évertue à glisser des touches sportives ou des notes sucrées pour rendre plus accessibles les sujets liés à l’énergie. Sans jamais oublier de traquer les doubles espaces qui perturbent la lecture.